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CATÉCHISME DU JARDINIER.

l’Inde la véritable route des planètes, c’est à nous qu’on en est redevable ; que nous seuls avons enseigné aux hommes les lois primitives de la nature et le calcul de l’infini ; que s’il faut descendre à des choses qui sont d’un usage plus commun, les gens de son pays n’ont appris que de nous à faire des jonques dans les proportions mathématiques ; qu’ils nous doivent jusqu’aux chausses appelées les bas au métier, dont ils couvrent leurs jambes ? Serait-il possible qu’ayant inventé tant de choses admirables ou utiles, nous ne fussions que des fous, et qu’un homme qui a mis en vers les rêveries des autres fût le seul sage ? Qu’il nous laisse faire notre cuisine, et qu’il fasse, s’il veut, des vers sur des sujets plus poétiques.

L’INDIEN.

Que voulez-vous ! il a les préjugés de son pays, ceux de son parti, et les siens propres.

LE JAPONAIS.

Oh ! voilà trop de préjugés.


CATÉCHISME DU JARDINIER[1],
ou
ENTRETIEN DU BACHA TUCTAN ET DU JARDINIER KARPOS.


TUCTAN.

Eh bien ! mon ami Karpos, tu vends cher tes légumes ; mais ils sont bons... De quelle religion es-tu à présent ?

KARPOS.

Ma foi, mon Bacha, j’aurais bien de la peine à vous le dire. Quand notre petite île de Samos appartenait aux Grecs, je me souviens que l’on me faisait dire que l’agion pneuma n’était produit que du tou patrou ; on me faisait prier Dieu tout droit sur mes deux jambes, les mains croisées : on me défendait de manger du lait en carême. Les Vénitiens sont venus, alors mon curé vénitien m’a fait dire qu’agion pneuma venait du tou patrou et du tou viou, m’a permis de manger du lait, et m’a fait prier Dieu à genoux. Les Grecs sont revenus, et ont chassé les Vénitiens : alors

  1. Le Catéchisme du jardinier parut pour la première fois dans l’édition de 1765 du Dictionnaire philosophique. Les éditeurs de Kehl l’avaient transposé dans un volume où ils avaient réuni beaucoup de dialogues. Ils l’intitulaient Tuctan et Karpos. (B.)