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FAVEUR.

comme si on disait que César n’était pas un grand capitaine parce qu’il fut battu à Dirrachium.

Si monsieur Esprit avait été philosophe, il n’aurait pas examiné la prudence comme une vertu, mais comme un talent, comme une qualité utile, heureuse ; car un scélérat peut être très-prudent, et j’en ai connu de cette espèce. Ô la rage de prétendre que

Nul n’aura de vertu que nous et nos amis[1] !

Qu’est-ce que la vertu, mon ami ? c’est de faire du bien : fais-nous-en, et cela suffit. Alors nous te ferons grâce du motif. Quoi ! selon toi il n’y aura nulle différence entre le président de Thou et Ravaillac ? entre Cicéron et ce Popilius auquel il avait sauvé la vie, et qui lui coupa la tête pour de l’argent ? et tu déclareras Épictète et Porphyre des coquins, pour n’avoir pas suivi nos dogmes ? Une telle insolence révolte. Je n’en dirai pas davantage, car je me mettrais en colère.


FAVEUR[2].


De ce qu’on entend par ce mot.


Faveur, du mot latin favor, suppose plutôt un bienfait qu’une récompense.

On brigue sourdement la faveur ; on mérite et on demande hautement des récompenses.

Le dieu Faveur, chez les mythologistes romains, était fils de la Beauté et de la Fortune.

Toute faveur porte l’idée de quelque chose de gratuit ; il m’a fait la faveur de m’introduire, de me présenter, de recommander mon ami, de corriger mon ouvrage.

La faveur des princes est l’effet de leur goût et de la complaisance assidue ; la faveur du peuple suppose quelquefois du mérite, et plus souvent un hasard heureux.

Faveur diffère beaucoup de grâce. Cet homme est en faveur auprès du roi, et cependant il n’en a point encore obtenu de grâces.

  1. Parodie de ce vers :

    Nul n’aura de l’esprit, hors nous et nos amis.

    (Molière, Femmes savantes, III, ii.)
  2. Encyclopédie, tome VI, 1756. (B.)