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FÉLICITÉ.

les unes des autres, comme des êtres successivement enfantés ; ce qui a rapport à la génération.

Bienheureux Scudéry dont la fertile plume...

(Boileau, sat. II, 77.)

Le mot fertile est là bien placé, parce que cette plume s’exerçait, se répandait sur toutes sortes de sujets.

Le mot fécond convient plus au génie qu’à la plume.

Il y a des temps féconds en crimes, et non pas fertiles en crimes.

L’usage enseigne toutes ces petites différences.


FÉLICITÉ[1].


Des différents usages de ce terme.


Félicité est l’état permanent, du moins pour quelque temps, d’une âme contente ; et cet état est bien rare.

Le bonheur vient du dehors : c’est originairement une bonne heure ; un bonheur vient, on a un bonheur ; mais on ne peut dire : Il m’est venu une félicité, j’ai eu une félicité ; et quand on dit : Cet homme jouit d’une félicité parfaite, une alors n’est pas pris numériquement, et signifie seulement qu’on croit que sa félicité est parfaite.

On peut avoir un bonheur sans être heureux : un homme a eu le bonheur d’échapper à un piége, et n’en est quelquefois que plus malheureux ; on ne peut pas dire de lui qu’il a éprouvé la félicité.

Il y a encore de la différence entre un bonheur et le bonheur, différence que le mot félicité n’admet point.

Un bonheur est un événement heureux : le bonheur, pris indécisivement, signifie une suite de ces événements.

Le plaisir est un sentiment agréable et passager : le bonheur, considéré comme sentiment, est une suite de plaisirs ; la prospérité, une suite d’heureux événements ; la félicité, une jouissance intime de sa prospérité.

L’auteur des Synonymes dit que « le bonheur est pour les riches, la félicité pour les sages, la béatitude pour les pauvres d’esprit » ; mais le bonheur paraît plutôt le partage des riches

  1. Encyclopédie, tome VI, 1756. (B.)