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FERTILISATION.

à nous accabler d’un fardeau que les plus sages de nos prélats ont ôté à nos cultivateurs, à l’exemple du pape. Le gouvernement peut aisément nous délivrer de ce très-grand mal que ces étrangers nous font. Ils sont en droit d’obliger nos colons à entendre une messe le jour de Saint-Roch ; mais au fond, ils ne sont pas en droit d’empêcher les sujets du roi de cultiver après la messe une terre qui appartient au roi, et dont il partage les fruits. Et ils doivent savoir qu’on ne peut mieux s’acquitter de son devoir envers Dieu qu’en le priant le matin, et en obéissant le reste du jour à la loi qu’il nous a imposée de travailler.

16º Plusieurs personnes ont établi des écoles dans leurs terres, j’en ai établi moi-même, mais je les crains. Je crois convenable que quelques enfants apprennent à lire, à écrire, à chiffrer ; mais que le grand nombre, surtout les enfants des manœuvres, ne sachent que cultiver, parce qu’on n’a besoin que d’une plume pour deux ou trois cents bras. La culture de la terre ne demande qu’une intelligence très-commune ; la nature a rendu faciles tous les travaux auxquels elle a destiné l’homme : il faut donc employer le plus d’hommes qu’on peut à ces travaux faciles, et les leur rendre nécessaires[1].

17° Le seul encouragement des cultivateurs est le commerce des denrées. Empêcher les blés de sortir du royaume, c’est dire aux étrangers que nous en manquons, et que nous sommes de mauvais économes. Il y a quelquefois cherté en France, mais rarement disette. Nous fournissons les cours de l’Europe de danseurs et de perruquiers ; il vaudrait mieux les fournir de froment. Mais c’est à la prudence du gouvernement d’étendre ou de resserrer ce grand objet de commerce. Il n’appartient pas à un particulier qui ne voit que son canton de proposer des vues à ceux qui voient et qui embrassent le bien général du royaume.

18° La réparation et l’entretien des chemins de traverse est un objet important. Le gouvernement s’est signalé par la confection des voies publiques, qui font à la fois l’avantage et l’ornement de la France. Il a aussi donné des ordres très-utiles pour les chemins

  1. Le temps de l’enfance, celui qui précède l’âge où un enfant peut être assujetti à un travail régulier, est plus que suffisant pour apprendre à lire, à écrire, à compter, pour acquérir même des notions élémentaires d’arpentage, de physique, et d’histoire naturelle. Il ne faut pas craindre que ces connaissances dégoûtent des travaux champêtres. C’est précisément parce que presque aucun homme du peuple ne sait bien écrire que cet art devient un moyen de se procurer avec moins de peine une subsistance plus abondante que par un travail mécanique. Ce n’est que par l’instruction qu’on peut espérer d’affaiblir dans le peuple les préjugés, ses tyrans éternels, auxquels presque partout les grands obéissent même en les méprisant. (K.)