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HÉRÉSIE.

appuyés par Valens, arrêtèrent, mirent aux fers et firent mourir ceux qui restaient attachés à Pierre, qu’Athanase avait désigné son successeur. On était dans Alexandrie comme dans une ville prise d’assaut. Les ariens s’emparèrent bientôt des églises, et l’on donna à l’évêque installé par les ariens le pouvoir de bannir de l’Égypte tous ceux qui resteraient attachés à la foi de Nicée.

Nous lisons dans Socrate[1] qu’après la mort de Sisinnius l’Église de Constantinople se divisa encore sur le choix de son successeur, et Théodose le Jeune mit sur le siége patriarcal le fougueux Nestorius. Dans son premier sermon, il dit à l’empereur : « Donnez-moi la terre purgée d’hérétiques, et je vous donnerai le ciel ; secondez-moi pour exterminer les hérétiques, et je vous promets un secours efficace contre les Perses. » Ensuite il chassa les ariens de la capitale, arma le peuple contre eux, abattit leurs églises, et obtint de l’empereur des édits rigoureux pour achever de les exterminer. Il se servit ensuite de son crédit pour faire arrêter, emprisonner et fouetter les principaux du peuple qui l’avaient interrompu au milieu d’un autre discours dans lequel il prêchait sa même doctrine, qui fut bientôt condamnée au concile d’Éphèse.

Photius rapporte[2] que lorsque le prêtre arrivait à l’autel, c’était un usage dans l’Église de Constantinople que le peuple chantât : Dieu saint, Dieu fort, Dieu immortel ; et c’est ce qu’on nommait le trisagion. Pierre le Foulon y avait ajouté ces mots : « Qui avez été crucifié pour nous, ayez pitié de nous. » Les catholiques crurent que cette addition contenait l’erreur des eutychiens théopaschites, qui prétendaient que la Divinité avait souffert ; ils chantaient cependant le trisagion avec l’addition pour ne pas irriter l’empereur Anastase, qui venait de déposer un autre Macédonius, et de mettre à sa place Timothée, par l’ordre duquel on chantait cette addition. Mais un jour des moines entrèrent dans l’église, et au lieu de cette addition chantèrent un verset de psaume ; le peuple s’écria aussitôt : « Les orthodoxes sont venus bien à propos. » Tous les partisans du concile de Chalcédoine chantèrent avec les moines le verset du psaume ; les eutychiens le trouvèrent mauvais ; on interrompt l’office, on se bat dans l’église, le peuple sort, s’arme, porte dans la ville le carnage et le feu, et ne s’apaise qu’après avoir fait périr plus de dix mille hommes[3].

  1. Livre VII, chapitre xxix. (Note de Voltaire.)
  2. Bibliothèque, cahier ccxxii. (Id.)
  3. Évagre, Vie de Théodose, livre III, chapitres xxxiii, xliv. (Id.)