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IMPIE.

tendant des finances, ou à un tefterdar turc, qu’il n’est pas selon la morale universelle de prendre l’argent de son prochain, et que tous les receveurs, douaniers, commis des aides et gabelles, sont maudits dans l’Évangile.

Tout maudits qu’ils sont, il faut pourtant convenir qu’il est impossible qu’une société subsiste sans que chaque membre paye quelque chose pour les frais de cette société ; et puisque tout le monde doit payer, il est nécessaire qu’il y ait un receveur. On ne voit pas pourquoi ce receveur est maudit, et regardé comme un idolâtre. Il n’y a certainement nulle idolâtrie à recevoir l’argent des convives pour payer leur souper.

Dans les républiques, et dans les États qui, avec le nom de royaume, sont des républiques en effet, chaque particulier est taxé suivant ses forces et suivant les besoins de la société.

Dans les royaumes despotiques, ou, pour parler plus poliment, dans les États monarchiques, il n’en est pas tout à fait de même. On taxe la nation sans la consulter. Un agriculteur qui a douze cents livres de revenu est tout étonné qu’on lui en demande quatre cents. Il en est même plusieurs qui sont obligés de payer plus de la moitié de ce qu’ils recueillent[1].

À quoi est employé tout cet argent ? L’usage le plus honnête qu’on puisse en faire est de le donner à d’autres citoyens.

Le cultivateur demande pourquoi on lui ôte la moitié de son bien pour payer des soldats, tandis que la centième partie suffirait : on lui répond qu’outre les soldats il faut payer les arts et le luxe, que rien n’est perdu, que chez les Perses on assignait à la reine des villes et des villages pour payer sa ceinture, ses pantoufles, et ses épingles.

Il réplique qu’il ne sait point l’histoire de Perse, et qu’il est très-fâché qu’on lui prenne la moitié de son bien pour une ceinture, des épingles, et des souliers ; qu’il les fournirait à bien meilleur marché, et que c’est une véritable écorcherie.

  1. Avouons que s’il y a quelques républiques où l’on fasse semblant de consulter la nation, il n’y en a peut-être pas une seule où elle soit réellement consultée.

    Avouons encore qu’en Angleterre, à l’exemption près de tout impôt personnel, il y a dans les taxes autant de disproportion, de gênes, de faux frais, de poursuites violentes, que dans aucune monarchie. Avouons enfin qu’il est très-possible que, dans une république, le corps législatif soit intéressé à maintenir une mauvaise administration d’impôts, tandis qu’un monarque ne peut y avoir aucun intérêt. Ainsi le peuple d’une république peut avoir à craindre et l’erreur et la corruption de ses chefs, au lieu que les sujets d’un monarque n’ont que ses erreurs à redouter. (K.)