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LANGUES.

Nous avons reconnu, au mot Alphabet, qu’il n’y eut jamais de langue primitive dont toutes les autres soient dérivées.

Nous voyons que le mot Al ou El, qui signifiait Dieu chez quelques Orientaux, n’a nul rapport au mot Gott, qui veut dire Dieu en Allemagne. House, huis, ne peut guère venir du grec domos, qui signifie maison.

Nos mères, et les langues dites mères, ont beaucoup de ressemblance. Les unes et les autres ont des enfants qui se marient dans le pays voisin, et qui en altèrent le langage et les mœurs. Ces mères ont d’autres mères dont les généalogistes ne peuvent débrouiller l’origine. La terre est couverte de familles qui disputent de noblesse, sans savoir d’où elles viennent.


Des mots les plus communs et les plus naturels en toute langue.


L’expérience nous apprend que les enfants ne sont qu’imitateurs ; que si on ne leur disait rien, ils ne parleraient pas, qu’ils se contenteraient de crier.

Dans presque tous les pays connus on leur dit d’abord baba, papa, mama, maman, ou des mots approchants, aisés à prononcer, et ils les répètent. Cependant vers le mont Krapack, où je vis, comme l’on sait, nos enfants disent toujours mon dada et non pas mon papa. Dans quelques provinces ils disent mon bibi.

On a mis un petit vocabulaire chinois à la fin du premier tome des Mémoires sur la Chine. Je trouve dans ce dictionnaire abrégé que fou, prononcé d’une façon dont nous n’avons pas l’usage, signifie père ; les enfants qui ne peuvent prononcer la lettre f disent ou. Il y a loin d’ou à papa.

Que ceux qui veulent savoir le mot qui répond à notre papa en japonais, en tartare, dans le jargon du Kamtschatka et de la baie d’Hudson, daignent voyager dans ces pays pour nous instruire.

On court risque de tomber dans d’étranges méprises quand, sur les bords de la Seine ou de la Saône, on donne des leçons sur la langue des pays où l’on n’a point été. Alors il faut avouer son ignorance ; il faut dire : J’ai lu cela dans Vachter, dans Ménage, dans Bochart, dans Kircher, dans Pezron, qui n’en savaient pas plus que moi ; je doute beaucoup ; je crois, mais je suis très-disposé à ne plus croire, etc., etc.

Un récollet, nommé Sagart Théodat, qui a prêché pendant trente ans les Iroquois, les Algonquins et les Hurons, nous a