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LOI SALIQUE.
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LOI SALIQUE[1].


Celui qui a dit que la loi salique fut écrite avec une plume des ailes de l’aigle à deux têtes, par l’aumônier de Pharamond, au dos de la donation de Constantin, pourrait bien ne s’être pas trompé.

C’est la loi fondamentale de l’empire français, disent de braves jurisconsultes. Le grand Jérôme Bignon, dans son livre de l’Excellence de la France, dit[2] que cette loi vient de la loi naturelle selon le grand Aristote, parce que « dans les familles c’était le père qui gouvernait, et qu’on ne donnait point de dot aux filles, comme il se lit des père, mère et frères de Rebecca ».

il assure[3] que le royaume de France est si excellent qu’il a conservé précieusement cette loi recommandée par Aristote et par l’Ancien Testament. Et pour prouver cette excellence de la France, il remarque que l’empereur Julien trouvait le vin de Surène admirable.

Mais, pour démontrer l’excellence de la loi salique, il s’en rapporte à Froissard, selon lequel « les douze pairs de France disent que le royaume de France est de si grande noblesse qu’il ne doit mie par succession aller à femelle ».

On doit avouer que cette décision est fort incivile pour l’Espagne, pour l’Angleterre, pour Naples, pour la Hongrie, surtout pour la Russie, qui a vu sur son trône quatre impératrices de suite.

Le royaume de France est de grande noblesse : d’accord ; mais celui d’Espagne, du Mexique et du Pérou, est aussi de grande noblesse : et grande noblesse est aussi en Russie.

On a allégué qu’il est dit dans la sainte Écriture que les lis ne filent point[4] : on en a conclu que les femmes ne doivent point régner en France. C’est encore puissamment raisonner ; mais on a oublié que les léopards, qui sont (on ne sait pourquoi) les armoiries d’Angleterre, ne filent pas plus que les lis, qui sont (on ne sait pourquoi) les armoiries de France. En un mot, de ce qu’on n’a jamais vu filer un lis, il n’est pas démontré que l’exclusion des filles soit une loi fondamentale des Gaules.

  1. Questions sur l’Encyclopédie, huitième partie, 1771. L’article était placé à la lettre S en 1771, 1774, 1775. (B.)
  2. Page 288 et suivantes. (Note de Voltaire.)
  3. Page 9. (Id.)
  4. Non laborant neque nent. Matth., vi, 28 ; et Luc, xii, 27.