Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome2.djvu/40

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
20
LETTRES SUR ŒDIPE.

C’est une faute du sujet, dit-on, et non de l’auteur : comme si ce n’était pas à l’auteur à corriger son sujet lorsqu’il est défectueux ! Je sais qu’on peut me reprocher à peu près la même faute ; mais aussi je ne me ferai pas plus de grâce qu’à Sophocle, et j’espère que la sincérité avec laquelle j’avouerai mes défauts justifiera la hardiesse que je prends de relever ceux d’un ancien.

Ce qui suit me paraît également éloigné du sens commun. Œdipe demande s’il ne revint personne de la suite de Laïus à qui on puisse en demander des nouvelles ; on lui répond « qu’un de ceux qui accompagnaient ce malheureux roi, s’étant sauvé, vint dire dans Thèbes que Laïus avait été assassiné par des voleurs, qui n’étaient pas en petit, mais en grand nombre ».

Comment se peut-il faire qu’un témoin de la mort de Laïus dise que son maître a été accablé sous le nombre, lorsqu’il est pourtant vrai que c’est un homme seul qui a tué Laïus et toute sa suite ?

Pour comble de contradiction, Œdipe dit au second acte qu’il a ouï dire que Laïus avait été tué par des voyageurs, mais qu’il n’y a personne qui dise l’avoir vu ; et Jocaste, au troisième acte, en parlant de la mort de ce roi, s’explique ainsi à Œdipe :

« Soyez bien persuadé, seigneur, que celui qui accompagnait Laïus a rapporté que son maître avait été assassiné par des voleurs : il ne saurait changer présentement ni parler d’une autre manière ; toute la ville l’a entendu comme moi. »

Les Thébains auraient été bien plus à plaindre, si l’énigme du sphinx n’avait pas été plus aisée à deviner que toutes ces contradictions[1].

Mais ce qui est encore plus étonnant, ou plutôt ce qui ne l’est point après de telles fautes contre la vraisemblance, c’est qu’Œdipe, lorsqu’il apprend que Phorbas vit encore, ne songe pas seulement à le faire chercher ; il s’amuse à faire des imprécations et à consulter des oracles, sans donner ordre qu’on amène devant lui le seul homme qui pouvait lui fournir[2] des lumières. Le chœur lui-même, qui est si intéressé à voir finir les malheurs de Thèbes, et qui donne toujours des conseils à Œdipe, ne lui donne pas celui d’interroger ce témoin de la mort du feu roi ; il le prie seulement d’envoyer chercher Tirésie.

Enfin Phorbas arrive au quatrième acte. Ceux qui ne connaissent point Sophocle s’imaginent sans doute qu’Œdipe, impatient

  1. Les éditions de 1719 à 1775 portent : « que tout ce galimatias ». (B.)
  2. Toutes les éditions du vivant de l’auteur portent : donner. (B.)