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PUISSANCE, TOUTE-PUISSANCE.

pour tous les êtres sensibles, ou il ne l’a pas pu. S’il l’a pu et s’il ne l’a pas fait, crains de le regarder comme malfaisant ; mais s’il ne l’a pas pu, ne crains point de le regarder comme une puissance très-grande, circonscrite par sa nature dans ses limites.

Qu’elle soit infinie ou non, cela ne t’importe. Il est indifférent à un sujet que son maître possède cinq cents lieues de terrain ou cinq mille ; il n’en est ni plus ni moins sujet.

Lequel serait le plus injurieux à cet Être ineffable de dire : Il a fait des malheureux sans pouvoir s’en dispenser ; ou : Il les a faits pour son plaisir ?

Plusieurs sectes le représentent comme cruel ; d’autres, de peur d’admettre un Dieu méchant, ont l’audace de nier son existence. Ne vaut-il pas mieux dire que probablement la nécessité de sa nature et celle des choses ont tout déterminé ?

Le monde est le théâtre du mal moral et du mal physique : on ne le sent que trop ; et le Tout est bien de Shaftesbury, de Bolingbroke et de Pope n’est qu’un paradoxe de bel esprit, une mauvaise plaisanterie.

Les deux principes de Zoroastre et de Manès, tant ressassés par Bayle, sont une plaisanterie plus mauvaise encore. Ce sont, comme on l’a déjà observé, les deux médecins de Molière[1] dont l’un dit à l’autre : Passez-moi l’émétique, et je vous passerai la saignée. Le manichéisme est absurde ; et voilà pourquoi il a eu un si grand parti.

J’avoue que je n’ai point été éclairé par tout ce que dit Bayle sur les manichéens et sur les pauliciens. C’est de la controverse ; j’aurais voulu de la pure philosophie. Pourquoi parler de nos mystères à Zoroastre ? Dès que vous osez traiter nos mystères, qui ne veulent que de la foi et non du raisonnement, vous vous ouvrez des précipices.

Le fatras de notre théologie scolastique n’a rien à faire avec le fatras des rêveries de Zoroastre.

Pourquoi discuter avec Zoroastre le péché originel ? Il n’en a jamais été question que du temps de saint Augustin. Zoroastre, ni aucun législateur de l’antiquité, n’en avait entendu parler.

Si vous disputez avec Zoroastre, mettez sous la clef l’Ancien et le Nouveau Testament, qu’il ne connaissait pas, et qu’il faut révérer sans vouloir les expliquer.

  1. Dans l’Amour médecin, acte III, scène Ire, Desfonandrès dit : « Qu’il me passe mon émétique pour la malade dont il s’agit, et je lui passerai tout ce qu’il voudra pour le premier malade dont il sera question. »