Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome20.djvu/44

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
34
MARIE MAGDELEINE.

« Magdeleine avait sacrifié sa réputation au monde[1] : sa pudeur et sa naissance la défendirent d’abord contre les premiers mouvements de sa passion ; et il est à croire qu’aux premiers traits qui la frappèrent, elle opposa la barrière de sa pudeur et de sa fierté ; mais lorsqu’elle eut prêté l’oreille au serpent et consulté sa propre sagesse, son cœur lui fut ouvert à tous les traits de la passion. Magdeleine aimait le monde, et dès lors il n’est rien qu’elle ne sacrifie à cet amour ; ni cette fierté qui vient de la naissance, ni cette pudeur qui fait l’ornement du sexe, ne sont épargnées dans ce sacrifice : rien ne peut la retenir, ni les railleries des mondains, ni les infidélités de ses amants insensés à qui elle veut plaire, mais de qui elle ne peut se faire estimer, car il n’y a que la vertu qui soit estimable ; rien ne peut lui faire honte, comme cette femme prostituée de l’Apocalypse, elle portait sur son front le nom de mystère, c’est-à-dire qu’elle avait levé le voile, et qu’on ne la connaissait plus qu’au caractère de sa folle passion. »

J’ai cherché ce passage dans les Sermons de Massillon ; il n’est certainement pas dans l’édition que j’ai. J’ose même dire plus, il n’est pas de son style.

Le christiadier aurait dû nous informer où il a pêché cette rapsodie de Massillon, comme il aurait du nous apprendre où il a lu que les Albigeois osaient imputer à Jésus une intelligence indigne de lui avec Magdeleine.

Au reste, il n’est plus question de la marquise dans le reste de l’ouvrage. L’auteur nous épargne son voyage à Marseille avec le Lazare, et le reste de ses aventures.

Qui a pu induire un homme savant et quelquefois éloquent, tel que le paraît l’auteur de la Christiade, à composer ce prétendu poëme ? C’est l’exemple de Milton ; il nous le dit lui-même dans sa préface, mais on sait combien les exemples sont trompeurs. Milton, qui d’ailleurs n’a point hasardé ce faible monstre d’un poëme en prose ; Milton, qui a répandu de très-beaux vers blancs dans son Paradis perdu, parmi la foule de vers durs et obscurs dont il est plein, ne pouvait plaire qu’à des whigs fanatiques, comme a dit l’abbé Grécourt.

En chantant l’univers perdu pour une pomme,
Et Dieu pour le damner créant le premier homme.

Il a pu réjouir des presbytériens en faisant coucher le Péché avec la Mort, en tirant dans le ciel du canon de vingt-quatre, en

  1. Christiade, tome II, page 321, note 1. (Note de Voltaire.)