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SUR LES ACADÉMIES.

a eu le sort de beaucoup d’autres projets utiles, d’être approuvée et d’être négligée[1].

Une chose assez singulière, c’est que Corneille, qui écrivit avec assez de pureté et beaucoup de noblesse les premières de ses bonnes tragédies, lorsque la langue commençait à se former, écrivit toutes les autres très-incorrectement et d’un style très-bas, dans le temps que Racine donnait à la langue française tant de pureté, de vraie noblesse, et de grâces ; dans le temps que Despréaux la fixait par l’exactitude la plus correcte, par la précision, la force, et l’harmonie. Que l’on compare la Bérénice de Racine avec celle de Corneille, on croirait que celui-ci est du temps de Tristan. Il semblait que Corneille négligeât son style à mesure qu’il avait plus besoin de le soutenir, et qu’il n’eût que l’émulation d’écrire au lieu de l’émulation de bien écrire. Non-seulement ses douze ou treize dernières tragédies sont mauvaises ; mais le style en est très-mauvais. Ce qui est encore plus étrange, c’est que de notre temps même nous avons eu des pièces de théâtre, des ouvrages de prose et de poésie, composés par des académiciens[2] qui ont négligé leur langue au point qu’on ne trouve pas chez eux dix vers ou dix lignes de suite sans quelque barbarisme. On peut être un très-bon auteur avec quelques fautes, mais non pas avec beaucoup de fautes. Un jour une société de gens d’esprit éclairés compta plus de six cents solécismes intolérables dans une tragédie qui avait eu le plus grand succès à Paris et la plus grande faveur à la cour. Deux ou trois succès pareils suffiraient pour corrompre la langue sans retour, et pour la faire retomber dans son ancienne barbarie, dont les soins assidus de tant de grands hommes l’ont tirée.

FIN DES LETTRES PHILOSOPHIQUES.
  1. Fin de l’article en 1734, et même en 1751. Le reste est de 1752. (B.)
  2. Voltaire veut parler ici de Crébillon.