Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome22.djvu/43

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À M***[1]
(1727)[2]

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Dans ce pays-ci comme ailleurs il y a beaucoup de cette folie humaine qui consiste en contradictions[3]. Je comprends dans ce mot les usages reçus tout contraires à des lois qu’on révère. Il semble que, chez la plupart des peuples, les lois soient précisément comme ces meubles antiques et précieux que l’on conserve avec soin, mais dont il y aurait du ridicule à se servir.

Il n’y a, je crois, nul pays au monde où l’on trouve tant de contradictions qu’en France. Ailleurs, les rangs sont réglés, et il n’y a point de place honorable sans des fonctions qui lui soient attachées. Mais en France un duc et pair ne sait pas seulement la place qu’il a dans le parlement[4]. Le président est méprisé à la cour, précisément parce qu’il possède une charge qui fait sa grandeur à la ville. Un évêque prêche l’humilité (si tant est qu’il prêche), mais il vous refuse sa porte si vous ne l’appelez pas Monseigneur[5]. Un maréchal de France, qui commande cent mille hommes et qui a peut-être autant de vanité que l’évêque, se contente du titre de Monsieur. Le chancelier n’a pas l’honneur de manger avec le roi ; mais il précède tous les pairs du royaume.

Le roi donne des gages aux comédiens, et le curé les excommunie. Le magistrat de la police a grand soin d’encourager le peuple à célébrer le carnaval ; à peine a-t-il ordonné les réjouissances qu’on fait des prières publiques, et toutes les religieuses se donnent le fouet pour en demander pardon à Dieu. Il est

  1. Ce fragment semble avoir fait partie d’une lettre écrite d’Angleterre. (K.) — Les éditeurs de Kehl sont, je crois, les premiers qui aient publié ce morceau, qu’ils avaient placé dans la Correspondance générale.
  2. Ou 1728.
  3. Voyez l’article Contradictions, tome XVIII, page 251.
  4. Voyez tome XVI, page 58.
  5. En France, le monseigneur est une terrible affaire, dit Voltaire ; voyez l’article Cérémonies, tome XVIII, page 108.