Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/118

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Comme l’assemblée était en ces détresses, entra brusquement maître Aliboron, dit Fréron, de l’Académie d’Angers. « Mes révérends pères, dit-il, je sais quelle est votre peine; j’ai été jésuite, et vous m’avez chassé; je ne suis qu’une cruche de votre poterie que vous avez cassée ; mais servabit odorem testa diu *, comme dit saint Matthieu ; je suis plus ignorant, plus impudent, plus menteur que jamais; faites-moi fermier du Journal de Trévoux, et je vous payerai comme je pourrai. — Mon ami, dit Croust, vous avez, il est vrai, de grandes qualités ; mais il est dit, dans Cicéron : Ne donnez pas le pain des enfants de la maison aux chiens^; et dans un autre endroit, dont je ne me souviens pas, il dit : Je suis venu pour sauver mes loups de la dent de mes brebis. Allez, maître, vous gagnez assez à hurler et à aboyer dans votre trou, tirez. »

Frère Garassise, qui n’avait point encore parlé, se leva et dit : « Mes révérends pères, il n’est pas juste, en effet, qu’un apostat soit préféré aux enfants de la maison : j’ai été choisi par frère Berthier, d’ennuyeuse mémoire ; il m’a remis en bâillant l’emploi de journaliste ; je ne l’ai quitté que pour m’acquitter de la commission sainte que j’avais auprès de frère Malagrida; je travaillerai au Journal de Trévoux jusqu’au temps où je pourrai aller exécuter vos ordres au Paraguai. Je vous ai apporté le coutelet de frère Malagrida ; j’ai la plume de Berthier, je possède la fadeur de Catrou, les antithèses de Porée, la sécheresse de Daniel ; je demande ce qui m’est dû pour prix de mes services. »

A ces mots, l’assemblée lui décerna le journal tout d’une voix; il l’écrivit, et l’on bâilla plus que jamais dans Paris,

N. B. On a mis sous presse le contenu du procès des frères Malagrida, Mathos et Alexandre, et le journal de tout ce qui s’est passé au Paraguai depuis cinq ans, envoyé par le gouverneur du Brésil à la cour de Lisbonne : ce sont deux pièces authentiques, par lesquelles on finira ces relations, qui composeront un volume utile et édifiant; on pourra même y ajouter quelques remarques pour l’avantage du prochain.

\. Horace, livre F"", épître ii, vers 09.

2. Matthieu, vir, ; et xv, 20.

FIN DE LA RELATION, ETC.