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MÉMOIRE.

pectueusement de lui dans mon livre ; que je le comparais aux petits princes allemands, et mille faussetés de cette force. Maupertuis me conseilla d’envoyer mon livre au roi, en droiture, avec une lettre qu’il vit et corrigea lui-même, etc., etc... »

Je n’examine point si M. de La Beaumelle avait eu tort ou raison de dire, dans son livre intitulé Mes Pensées, édition de Berlin, page 49 : « Le roi de Prusse comble de bienfaits des hommes à talent, précisément par les mêmes principes que les princes d’Allemagne comblent de bienfaits un bouffon et un nain. » Il suffit de faire voir ce que c’est qu’un philosophe, un président d’une académie, qui, au sortir d’un souper particulier avec le roi son maître, court chez un jeune inconnu à peine arrivé à Berlin, et manque au secret qu’il doit, pour nuire à un des convives. Une telle conduite n’est assurément ni philosophe ni chrétienne ; mais ce qui l’était encore moins, c’est que la calomnie était jointe à l’infidélité. Ce n’était pas moi qui avais parlé, à souper, des éloges que La Beaumelle donnait, dans son livre, au roi et aux officiers de sa chambre ; c’était le marquis d’Argens qui le dit en plaisantant. Ce dernier sait que je voulus l’arrêter, et que je lui dis, en propres paroles[1] : Taisez-vous donc, vous révélez le secret de l’église. J’ose prendre le roi à témoin que je ne dis pas un seul mot de ce que Maupertuis m’impute. Il m’a persécuté sans relâche par de tels artifices, tandis que j’étais uniquement occupé, loin de ma patrie, du monument que je voulais élever à sa gloire.

Enfin est venue l’affaire de M. Koenig, mon ami et le sien. L’adresse et la violence qu’il a employées pour l’opprimer sont connues de toute l’Europe littéraire. Funeste ressource que l’adresse dans une dispute mathématique ! Il n’a pas aperçu l’erreur où il était tombé, erreur reconnue aujourd’hui par toutes les académies de l’Europe ; et au lieu de corriger cette méprise, ce qui lui était si aisé, ce qui lui aurait fait tant d’honneur ; au lieu de remercier M. Koenig, son ancien ami et le mien, qui avait fait le voyage de la Haye à Berlin uniquement pour en conférer avec lui, il l’a fait condamner comme faussaire, dans une assemblée de l’Académie ; il a intéressé, il a compromis les puissances les plus respectables, dans cette persécution inouïe.

Ce n’est pas tout ; M. de Maupertuis a dicté lui-même l’accusation et la sentence, et a porté encore l’art de la vengeance jusques

  1. Voyez le second alinéa de la lettre à M. Roques, année 1752.