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RÉFLEXIONS

POUR LES SOTS [1]

(1760)




Si le grand nombre gouverné était composé de bœufs, et le petit nombre gouvernant, de bouviers, le petit nombre ferait très-bien de tenir le grand nombre dans l’ignorance.

Mais il n’en est pas ainsi. Plusieurs nations qui longtemps n’ont eu que des cornes, et qui ont ruminé, commencent à penser.

Quand une fois ce temps de penser est venu, il est impossible d’ôter aux esprits la force qu’ils ont acquise ; il faut traiter en êtres pensants ceux qui pensent, comme on traite les brutes en brutes.

Il serait impossible aux chevaliers de la Jarretière, assemblés à l’Hôtel de Ville de Londres, de faire croire aujourd’hui que saint George leur patron les regarde du haut du ciel, une lance à la main, monté sur un grand cheval de bataille.

Le roi Guillaume, la reine Anne, George Ier, George II, n’ont guéri personne des écrouelles. Autrefois, un roi qui aurait refusé de se servir de ce saint privilége eût révolté la nation ; aujourd’hui un roi qui en voudrait user ferait rire la nation entière [2].

  1. Cet opuscule est des six premiers mois de 1760, car il fait partie du Recueil des facéties parisiennes. (B.)
  2. Cependant, en 1774, Louis XVI les toucha ; voyez, tome XI, la note 4 de la page 365.
        Voyez ce qui est dit dans le Dictionnaire philosophique, tome XVIII, page 468, à l’article Écrouelles ; et, dans la Correspondance, la lettre du roi de Prusse du 27 juillet 1775.