Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome24.djvu/258

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vous lu l’Œuvre des six jours[1] ? disons-nous. On nous réplique qu’il y a une tragédie nouvelle. Enfin le temps approche où nous ne gouvernerons plus que les disgraciés et la halle. Cela donne de l’humeur, et alors on excommunie qui l’on peut.

« Il n’en est pas ainsi à Rome et dans les autres États de l’Europe. Quand on chante à Saint-Jean de Latran, ou à Saint-Pierre, une belle messe à grands chœurs à quatre parties, et que vingt châtrés ont fredonné un motet, tout est dit ; on va prendre le soir du chocolat à l’Opéra de Saint-Ambroise, et personne ne s’avise d’y trouver à redire. On se garde bien d’excommunier la signora Cazzoni[2], la signora Faustina[3], la signora Barbarini[4] encore moins le signor Farinelli[5], chevalier de Calatrava, et acteur de l’Opéra, qui a des diamants gros comme mon pouce.

« Les gens qui sont les maîtres chez eux ne sont jamais persécuteurs : voilà pourquoi un roi qui n’est point contredit est toujours un bon roi, pour peu qu’il ait le sens commun. Il n’y a de méchants que les petits qui cherchent à être les maîtres. Il n’y a que ceux-là qui persécutent pour se donner de la considération. Le pape est assez puissant en Italie pour n’avoir pas besoin d’excommunier d’honnêtes gens qui ont des talents estimables ; mais il est des animaux dans Paris, aux cheveux plats, et à l’esprit de même, qui sont dans la nécessité de se faire valoir. S’ils ne cabalent pas, s’ils ne prêchent pas le rigorisme, s’ils ne crient pas contre les beaux-arts, ils se trouvent anéantis dans la foule. Les passants ne regardent les chiens que quand ils aboient, et on veut être regardé. Tout est jalousie de métier dans ce monde[6]. Je vous dis notre secret ; ne me décelez pas, et faites-moi le plaisir de me donner une loge grillée à la première tragédie de M. Colardeau[7].

— Je vous le promets, dit l’intendant des menus ; mais achevez de me révéler vos mystères. Pourquoi de tous ceux à qui j’ai parlé de cette affaire n’y en a-t-il pas un qui ne convienne que l’excom-

  1. Voltaire appelait alors l’’Œuvre de six jours sa tragédie d’Olympie, qu’il avait faite en six jours (mais voyez une lettre à d’Argental, de novembre 1762). Il existe um ouvrage de dévotion intitulé Explication littérale de l’ouvrage des six jours (par Duguet etd’Asfeld), 1731, in-12. (B.)
  2. Françoise Cazzoni, née à Parme vers 1700.
  3. Faustine Bordoni, née à Venise en 1700.
  4. Voyez ce que Voltaire en dit dans ses Mémoires.
  5. Voyez la note, tome XXI, page 160.
  6. Le monologue a toujours été jaloux du dialogue a dit Voltaire dans son Appel aux nations ; voyez page 215.
  7. La tragédie de Caliste, ou la Belle Pénitente, par Colardeau, avait été jouée le 12 novembre 1760.