Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/410

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

pourvu que je vive libre et heureux. Je crains toujours ce prêtre papiste qui est ici ; il cabale sûrement contre notre liberté, et il y a là anguille sous roche. »

Le capitaine prit feu à ce discours, et jura que si les choses étaient ainsi ce papiste n’en serait pas quitte pour ses deux oreilles, quelque longues qu’elles fussent. Pour moi, je gardais le silence, comme il convient à un proposant devant un pasteur en pied. Ce digne ministre, qui sait un peu de mathématiques, reprit la parole, et s’exprima en ces termes :

« Ne craignez rien de M. Needham, il est trop mal informé des affaires du monde ; vous savez qu’il ignore l’aventure de la lune et d’Aïalon. » Alors il tira son étui de sa poche, et nous fit sur le papier une très-belle figure ; il traça une tangente sur l’orbite de la lune, et tira des rayons visuels de la terre aux autres planètes. M. Covelle ouvrait de grands yeux ; il demanda cette figure pour la montrer aux savants de son cercle.

« Vous voyez bien, disait le ministre, que si la lune perd son mouvement de gravitation, elle doit suivre cette tangente, et que si elle perd son mouvement de projectile, elle doit tomber suivant cette autre ligne. — Oui, » dit M. Covelle. Le capitaine s’attacha aux rayons visuels, et nous conçûmes le miracle dans toute sa beauté. Nous fûmes tous d’accord, il ne fut plus question de miracles, et notre souper fut le plus gai du monde.

Nous allions nous séparer, lorsqu’un ancien auditeur de nos amis entra tout effaré, et nous apprit que le prêtre aux anguilles est un jésuite, « C’est une chose avérée, dit-il, et on en a les preuves.

— Quoi ! m’écriai-je, un jésuite transfiguré parmi nous, et précepteur d’un jeune homme ! Cela est dangereux de bien des façons : il faut en avertir dès demain M. le premier syndic.

— Lui jésuite ! dit le capitaine, cela ne se peut pas, il est trop absurde[1].

  1. Figurez-vous, mes chers concitoyens, que ce jésuite Keedham a fait une parodie de la troisième lettre humble et soumise que j’écrivais si respectueusement à mon sérieux maître R… : c’est assurément une chose bien louable de défendre notre sainte religion chrétienne par une parodie ! Il est beau que ce soit un jésuite à qui nous en ayons l’obligation. C’est un ennemi qui vient à notre secours, en attendant que nous nous battions contre lui ; il a orné cette parodie d’un avis préliminaire dans lequel il dit :

    « Ceux qui n’ont pas vu l’original sur lequel cette parodie est formée comprendront facilement que je n’ai touché en rien à la forme, aux idées, pas même aux mots, etc. »

    Comprenez-vous, mes chers concitoyens, qu’on puisse juger si l’auteur bouffon