Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/437

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M. du Peyrou[1] citoyen de Neufchâtel, a jeté des pierres dans mon jardin ; il s’est avisé d’écrire que la lapidation n’est plus en usage dans la nouvelle loi, que cette cérémonie n’a été connue que des Juifs, et que par conséquent j’ai eu tort, moi, prêtre de la loi nouvelle, de faire jeter des pierres à Jean-Jacques, qui est de la loi naturelle. Figurez-vous, monsieur, vous qui êtes un bon philosophe, combien ce raisonnement est ridicule.

M. du Peyrou a été élevé en Amérique ; vous voyez bien qu’il ne peut être instruit des usages de l’Europe. Je compte bien le faire lapider lui-même à la première occasion, pour lui apprendre son catéchisme. Je vous prie de me mander si la lapidation n’est pas très-commune en Irlande, car je ne veux rien faire sans avoir de grandes autorités.

Il n’est pas, monsieur, que vous n’ayez jeté quelques pierres en votre vie à des mécréants, quand vous en avez rencontré ; mandez-moi, je vous prie, ce qui en est arrivé, et si cela les a convertis.

Je me suis fait donner une déclaration par mon troupeau, comme quoi j’étais honnête homme. Mais au diable, si on a dit un mot de pierres, ni de cailloux dans cette attestation de vie et de mœurs : cela me fait une vraie peine, et est pour moi une pierre de scandale[2] : car enfin, monsieur, l’Église de Jésus-Christ est fondée sur la pierre[3] ; ce n’est que parce que Simon Barjone était surnommé Pierre, que les papes ont chassé autrefois un empereur de Rome à coups de pierres ; pour moi, je suis tout pétrifié, depuis qu’on m’a pris à partie, et qu’on m’a forcé d’écrire des lettres qui sont la pierre de touche de mon génie.

Je sais qu’il est dit dans la Genèse[4] que Deucalion et Pyrrha firent des enfants en se troussant et en jetant des pierres entre leurs jambes, et que j’aurais pu m’excuser en citant ce passage de l’Écriture ; mais on m’a répondu que quand M. Jean-Jacques et sa servante se troussent, ils n’en usent point ainsi, et que je ne gagnerais rien à cette évasion.

On m’a dit que depuis ce temps-là Jean-Jacques a ramassé toutes les pierres qu’il a rencontrées dans son chemin pour les jeter au nez des magistrats de Genève ; mais, par les dernières

  1. Pierre-Alexandre du Peyrou, Américain, mais devenu bourgeois de Neufchâtel où il mourut en 1794, était un des plus sincères amis du sublime et défiant Rousseau. (Cl.)
  2. Aux Rom., ix, 33 ; Isaie, viii, 14.
  3. Matth., xvi, 18.
  4. Ce mot désigne ici les Métamorphoses d’Ovide.