Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/455

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cluez point, de ce que les Juifs ont autrefois mangé des hommes[1], que les Savanois en mangent aussi. C’est comme si vous disiez qu’ils ont trente-deux mille pucelles dans un de leurs villages, parce que Moïse trouva trente-deux mille pucelles dans un village madianite.

N’appelez point les dames de Genève, qui se moquent de vous, des ravaudeuses[2] ; il ne faut jamais insulter les dames, cela est d’un homme mal appris. Si les dames se moquent de vous, il faut entendre raillerie, et les remercier de la peine qu’elles daignent prendre. Songez que les dames font la moitié du genre humain, que les railleurs composent l’autre moitié, et qu’il ne vous restera que vos anguilles : ce qui est une faible ressource pour établir le papisme à Genève, comme on vous en accuse.

Voyez quelle contradiction il y aurait à vouloir détruire l’Écriture sainte d’une main, et introduire le papisme de l’autre. Vous me dites que ce monde n’est qu’un amas de contradictions ; que notre ami Jean-Jacques s’est toujours contredit ; qu’il a écrit contre la comédie en faisant des comédies ; qu’il a tourné les miracles de Jésus en ridicule, et qu’il a fait des miracles à Venise ; que tantôt il a justifié certains prêtres contre l’Encyclopédie, et que tantôt il les a vilipendés ; qu’il a dédié une brochure à sa chère république de Genève, et qu’après il a imprimé que ses chers magistrats sont des tyrans, et le conseil des deux-cents une assemblée de dupes ; qu’il a fait l’éloge du prêtre Montmolin, a pleuré de joie en communiant de la main du prêtre Montmolin, a juré au prêtre Montmolin d’écrire contre l’auteur De l’Esprit[3], qui avait été son bienfaiteur, et qu’il s’est fait ensuite lapider dans une querelle avec ledit prêtre Montmolin. Hélas ! monsieur, vous avez raison en cela. Les lois se contredisent souvent. Les maris et les femmes passent leur vie à se contredire. Les conciles se sont contredits ; Augustin a contredit Jérôme ; Paul a contredit Pierre ; Calvin a contredit Luther, qui a contredit Zuingle, qui a contredit Œcolampade, etc. Il n’y a personne qui n’ait éprouvé des contradictions chez ses parents et dans son propre cœur.

  1. Ézéchiel, xxxix, 20.
  2. Page 9 des Notes instructives, véridiques, théologiques, et soporifiques de mon cher ami Needham. (Note de Voltaire.)
  3. Rousseau attaqua effectivement l’ouvrage d’Helvétius ; mais il cessa bientôt de le réfuter (vers la fin de 1758 ou le commencement de 1759) en apprenant, dit M. Saint-Surin, que l’auteur était poursuivi. Le livre IV d’Émile contient, il est vrai, une allusion contre le désolant ouvrage d’Helvétius ; mais Rousseau était lui-même poursuivi pour l’Émile, quand il communia, purement et simplement, de la main du prêtre Montmolin, à la fin d’auguste 1762. (Cl.)