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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/512

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AVERTISSEMENT.

2° C’est un principe de toutes les législations qu’un délit doit être constaté : or il n’est point constaté au procès qu’aucun des prétendus blasphèmes du chevalier de La Barre appartienne, suivant la théologie, au genre de l’infidélité. Il fallait une décision de la Sorbonne, puisqu’il est question dans l’édit de prononcer suivant la théologie, comme il faut un procès-verbal de médecins dans les circonstances où il faut prononcer suivant la médecine.

Quant au bris d’images, en supposant que le chevalier de La Barre en fût convaincu, il ne devait pas être puni de mort. Une seule loi prononce cette peine : c’est un édit de pacification donné par le chancelier de L’Hospital, sous Charles IX, et révoqué bientôt après. En jugeant de l’esprit de cette loi par les circonstances où elle a été faite, par l’esprit qui l’a dictée, par les intentions bien connues du magistrat humain et éclairé qui l’a rédigée, on voit que son unique but était de prévenir les querelles sanglantes que le zèle imprudent de quelque protestant aurait pu allumer entre son parti et celui des partisans de l’Église romaine. La durée de cette loi devait-elle s’étendre au delà des troubles qui pouvaient en excuser la dureté et l’injustice ? C’est à peu près comme si on punissait de mort un homme qui est sorti d’une ville sans permission, parce que, cette ville étant assiégée il y a deux cents ans, on a défendu d’en sortir sous peine de mort, et que la loi n’a point été abrogée.

D’ailleurs la loi porte : « et autres actes scandaleux et séditieux », et non pas, scandaleux ou séditieux[1] : donc, pour qu’un homme soit dans le cas de la loi, il faut que le scandale qu’il donne soit aggravé par un acte séditieux, qui est un véritable crime. Ce n’est pas le scandale que le vertueux L’Hospital punit par cette loi, c’est un acte séditieux qui était alors une suite nécessaire de ce scandale. Ainsi, lorsque l’on punit dans un temps de guerre une action très-légitime en elle-même, ce n’est pas cette action qu’on punit, mais la trahison, qui dans ce moment est inséparable de cette action.

Il est donc trop vrai que le chevalier de La Barre a péri sur un échafaud parce que les juges n’ont pas entendu la différence d’une particule disjonctive à une particule conjonctive.

La maxime de Zoroastre : Dans le doute abstiens-toi, doit être la loi de tous les juges : ils doivent, pour condamner, exiger que la loi qui prononce la peine soit d’une évidence qui ne permette pas le doute ; comme ils ne doivent prononcer sur le fait qu’après des preuves claires et concluantes.

Le dernier délit imputé au chevalier de La Barre, celui de bris d’images, n’était pas prouvé : l’arrêt prononce véhémentement suspecté. Mais si on entend ces mots dans leur sens naturel, tout arrêt qui les renferme ordonne un véritable assassinat : ce ne sont pas les gens soupçonnés d’un crime, mais ceux qui en sont convaincus, que la société a droit de punir. Dira-t-on que ces mots véhémentement suspecté indiquent une véritable preuve, mais moindre que celle qui fait prononcer que l’accusé est atteint et convaincu ? Cette explication indiquerait un système de jurisprudence bien barbare ; et si on

  1. C’est le cas du procès de Figaro dans la grande comédie de Beaumarchais. Cette préface serait-elle de l’auteur de la Folle Journée ? (G. A.)