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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/535

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SUR LES CALAS ET LES SIRVEN.


On voit en effet dans l’Histoire de la réformation de Suisse que, pour prévenir le grand changement qui était près d’éclater, des prêtres subornèrent à Genève, en 1536, une servante pour empoisonner trois principaux auteurs de la réforme, et que le poison n’ayant pas été assez fort, ils en mirent un plus violent dans le pain et le vin de la communion publique, afin d’exterminer en un seul matin tous les nouveaux réformés, et de faire triompher l’Église de Dieu[1].

L’auteur du Traité de la Tolérance n’a point parlé des supplices horribles dans lesquels on a fait périr tant de malheureux aux vallées du Piémont[2]. Il a passé sous silence le massacre de six cents habitants de la Valteline, hommes, femmes, enfants, que les catholiques égorgèrent un dimanche, au mois de septembre 1620. Je ne dirai pas que ce fut avec l’aveu et avec le secours de l’archevêque de Milan, Charles Borromée, dont on a fait un saint. Quelques écrivains passionnés ont assuré ce fait, que je suis très-loin de croire ; mais je dis qu’il n’y a guère dans l’Europe de ville et de bourg où le sang n’ait coulé pour des querelles de religion ; je dis que l’espèce humaine en a sensiblement diminué, parce qu’on massacrait les femmes et les filles aussi bien que les hommes ; je dis que l’Europe serait plus peuplée d’un tiers s’il n’y avait point eu d’arguments théologiques. Je dis enfin que, loin d’oublier ces temps abominables, il faut les remettre fréquemment sous nos yeux pour en inspirer une horreur éternelle, et que c’est à notre siècle à faire amende honorable, par la tolérance, pour ce long amas de crimes que l’intolérance a fait commettre pendant seize siècles de barbarie.

Qu’on ne dise donc point qu’il ne reste plus de traces du fanatisme affreux de l’intolérantisme : elles sont encore partout, elles sont dans les pays mêmes qui passent pour les plus humains. Les prédicants luthériens et calvinistes, s’ils étaient les maîtres, seraient peut-être aussi impitoyables, aussi durs, aussi insolents, qu’ils reprochent à leurs antagonistes de l’être. La loi barbare qu’aucun catholique ne peut demeurer plus de trois jours dans certains pays protestants n’est point encore révoquée. Un Italien, un Français, un Autrichien ne peut posséder une maison, un arpent de terre, dans leur territoire, tandis qu’au moins on permet en France qu’un citoyen inconnu de Genève ou de Schaffouse

  1. Ruchat, tome Ier, pages 2, 4, 5, 6 et 7 ; Roset, tome III, page 13 ; Savion, tome III, page 126 ; ms. Chouet, page 26, avec les preuves du procès. (Note de Voltaire.)
  2. Mais voyez tome XI, page 495 ; et XII, 332.