Aller au contenu

Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome25.djvu/543

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
533
SUR LES CALAS ET LES SIRVEN.


de ce fait, ils l’ont refusée : ils ont craint d’être punis par leurs supérieurs pour avoir dit la vérité.

Enfin qui le croirait ? après le jugement solennel rendu en faveur des Calas, il s’est trouvé un jésuite irlandais qui, dans la plus insipide des brochures[1], a osé dire que les défenseurs des Calas, et les maîtres des requêtes qui ont rendu justice à leur innocence, étaient des ennemis de la religion.

Les catholiques répondent à tous ces reproches que les protestants en méritent d’aussi violents. Les meurtres de Servet et de Barneveldt, disent-ils, valent bien ceux du conseiller Dubourg. On peut opposer la mort de Charles Ier à celle de Henri III. Les sombres fureurs des presbytériens d’Angleterre, la rage des cannibales des Cévennes, ont égalé les horreurs de la Saint-Barthélemy.

Comparez les sectes, comparez les temps, vous trouverez partout, depuis seize cents années, une mesure à peu près égale d’absurdités et d’horreurs, partout des races d’aveugles se déchirant les uns les autres dans la nuit qui les environne. Quel livre de controverse n’a pas été écrit avec le fiel ? et quel dogme théologique n’a pas fait répandre du sang ? C’était la suite nécessaire de ces terribles paroles : « Quiconque n’écoute pas l’Église soit regardé comme un païen et un publicain[2]. » Chaque parti prétendait être l’Église ; chaque parti a donc dit toujours : Nous abhorrons les commis de la douane ; il nous est enjoint de traiter quiconque n’est pas de notre avis comme les contrebandiers traitent les commis de la douane quand ils sont les plus forts. Ainsi partout le premier dogme a été celui de la haine.

Lorsque le roi de Prusse entra pour la première fois dans la Silésie[3], une bourgade protestante, jalouse d’un village catholique, vint demander humblement au roi la permission de tout tuer dans ce village. Le roi répondit aux députés : « Si ce village venait me demander la permission de vous égorger, trouveriez-vous bon que je la lui accordasse ? — Ô gracieuse Majesté ! répliquèrent les députés, cela est bien différent ; nous sommes la véritable Église. »

  1. Cette brochure inconnue, dont M. de Voltaire a déjà parlé, est vraisemblablement quelque ouvrage du bon Needham, qui, se croyant un grand homme parce qu’il avait regardé du sperme et du jus de mouton par le trou de son microscope, s’était mis à dire son avis à tort et à travers sur l’autre monde et sur celui-ci. (K.)
  2. Matthieu, xviii, 17.
  3. En décembre 1740 ; voyez tome XXIII, page 150.