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CHAPITRE XIII.

Lévitique et du Deutéronome. C’étaient les dogmes des Perses, des Babyloniens, des Égyptiens, des Grecs, des Crétois ; mais ils ne constituaient nullement la religion des Juifs, Moïse ne dit point : « Honore ton père et ta mère, si tu veux aller au ciel » ; mais : « Honore ton père et ta mère, afin de vivre longtemps sur la terre[1]». Il ne les menace que de maux corporels[2] de la gale sèche, de la gale purulente, d’ulcères malins dans les genoux et dans les gras des jambes, d’être exposés aux infidélités de leurs femmes, d’emprunter à usure des étrangers, et de ne pouvoir prêter à usure ; de périr de famine, et d’être obligés de manger leurs enfants ; mais en aucun lieu il ne leur dit que leurs âmes immortelles subiront des tourments après la mort, ou goûteront des félicités. Dieu, qui conduisait lui-même son peuple, le punissait ou le récompensait immédiatement après ses bonnes ou ses mauvaises actions. Tout était temporel, et c’est une vérité dont Warburton abuse pour prouver que la loi des Juifs était divine[3] :

  1. Deutéronome, v, 10.
  2. Deutéronome, xxviii. (Note de Voltaire.)
  3. Il n’y a qu’un seul passage dans les lois de Moïse d’où l’on put conclure qu’il était instruit de l’opinion régnante chez les Égyptiens, que l’âme ne meurt point avec le corps ; ce passage est très-important, c’est dans le chapitre xviii du Deutéronome : « Ne consultez point les devins qui prédisent par l’inspection des nuées, qui enchantent les serpents, qui consultent l’esprit de Python, les voyants, les connaisseurs qui interrogent les morts et leur demandent la vérité. »

    Il paraît, par ce passage, que si l’on évoquait les âmes des morts, ce sortilége prétendu supposait la permanence des âmes. Il se peut aussi que les magiciens dont parle Moïse, n’étant que des trompeurs grossiers, n’eussent pas une idée distincte du sortilége qu’ils croyaient opérer. Ils faisaient accroire qu’ils forçaient des morts à parler, qu’ils les remettaient, par leur magie, dans l’état où ces corps avaient été de leur vivant, sans examiner seulement si l’on pouvait inférer ou non de leurs opérations ridicules le dogme de l’immortalité de l’âme. Les sorciers n’ont jamais été philosophes, ils ont été toujours des jongleurs qui jouaient devant des imbéciles.

    On peut remarquer encore qu’il est bien étrange que le mot de Python se trouve dans le Deutéronome, longtemps avant que ce mot grec put être connu des Hébreux : aussi le Python n’est point dans l’hébreu, dont nous n’avons aucune traduction exacte.

    Cette langue a des difficultés insurmontables : c’est un mélange de phénicien, d’égyptien, de syrien, et d’arabe ; et cet ancien mélange est très-altéré aujourd’hui. L’hébreu n’eut jamais que deux modes aux verbes, le présent et le futur : il faut deviner les autres modes par le sens. Les voyelles différentes étaient souvent exprimées par les mêmes caractères ; ou plutôt ils n’exprimaient pas les voyelles, et les inventeurs des points n’ont fait qu’augmenter la difficulté. Chaque adverbe a vingt significations différentes. Le même mot est pris en des sens contraires.

    Ajoutez à cet embarras la sécheresse et la pauvreté du langage : les Juifs, privés des arts, ne pouvaient exprimer ce qu’ils ignoraient. En un mot, l’hébreu est au grec ce que le langage d’un paysan est à celui d’un académicien. (Id.)