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CHAPITRE XIII.

qui probablement avait commencé dès le temps de la captivité de Babylone, la secte des saducéens persista toujours à croire qu’il n’y avait ni peines ni récompenses après la mort, et que la


    leurs tentes et leur substance, et qu’ils furent précipités vivants dans la sépulture, dans le souterrain : il n’est certainement question dans cet endroit ni des âmes de ces trois Hébreux, ni des tourments de l’enfer, ni d’une punition éternelle.

    Il est étrange que, dans le Dictionnaire encyclopédique, au mot Enfer, on dise que les anciens Hébreux en ont reconnu la réalité ; si cela était, ce serait une contradiction insoutenable dans le Pentateuque. Comment se pourrait-il faire que Moïse eût parlé dans un passage isolé et unique des peines après la mort, et qu’il n’en eût point parlé dans ses lois ? On cite le trente-deuxième chapitre du Deutéronome [versets 21-24], mais on le tronque ; le voici entier : « Ils m’ont provoqué en celui qui n’était pas Dieu, et ils m’ont irrité dans leur vanité ; et moi je les provoquerai dans celui qui n’est pas peuple, et je les irriterai dans la nation insensée. Et il s’est allumé un feu dans ma fureur, et il brûlera jusqu’au fond de la terre ; il dévorera la terre jusqu’à son germe, et il brûlera les fondements des montagnes ; et j’assemblerai sur eux les maux, et je remplirai mes flèches sur eux ; ils seront consumés par la faim, les oiseaux les dévoreront par des morsures amères ; je lâcherai sur eux les dents des bêtes qui se traînent avec fureur sur la terre, et des serpents. »

    Y a-t-il le moindre rapport entre ces expressions et l’idée des punitions infernales telles que nous les concevons ? Il semble plutôt que ces paroles n’aient été rapportées que pour faire voir évidemment que notre enfer était ignoré des anciens Juifs.

    L’auteur de cet article cite encore le passage de Job, au chap. xxiv [15-19]. « L’œil de l’adultère observe l’obscurité, disant : L’œil ne me verra point, et il couvrira son visage ; il perce les maisons dans les ténèbres, comme il l’avait dit dans le jour, et ils ont ignoré la lumière ; si l’aurore apparaît subitement, ils la croient l’ombre de la mort, et ainsi ils marchent dans les ténèbres comme dans la lumière ; il est léger sur la surface de l’eau ; que sa part soit maudite sur la terre, qu’il ne marche point par la voie de la vigne, qu’il passe des eaux de neige à une trop grande chaleur ; et ils ont péché jusqu’au tombeau » ; ou bien : « le tombeau a dissipé ceux qui pèchent », ou bien (selon les Septante), « leur péché a été rappelé en mémoire ».

    Je cite les passages entiers, et littéralement, sans quoi il est toujours impossible de s’en former une idée vraie.

    Y a-t-il là, je vous prie, le moindre mot dont on puisse conclure que Moïse avait enseigné aux Juifs la doctrine claire et simple des peines et des récompenses après la mort ?

    Le livre de Job n’a nul rapport avec les lois de Moïse. De plus, il est très-vraisemblable que Job n’était point Juif ; c’est l’opinion de saint Jérôme dans ses questions hébraïques sur la Genèse. Le mot Sathan, qui est dans Job [i, 1, 6, 12], n’était point connu des Juifs, et vous ne le trouvez jamais dans le Pentateuque. Les Juifs n’apprirent ce nom que dans la Chaldée, ainsi que les noms de Gabriel et de Raphaël, inconnus avant leur esclavage à Babylone. Job est donc cité ici très-mal à propos.

    On rapporte encore le chapitre dernier d’Isaïe [23, 24] : « Et de mois en mois, et de sabbat en sabbat, toute chair viendra m’adorer, dit le Seigneur ; et ils sortiront, et ils verront à la voirie les cadavres de ceux qui ont prévariqué ; leur ver ne mourra point, leur feu ne s’éteindra point, et ils seront exposés aux yeux de toute chair jusqu’à satiété. »

    Certainement, s’ils sont jetés à la voirie, s’ils sont exposés à la vue des pas-