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CHAPITRE XIII.

Juifs que les protestants ne diffèrent des catholiques ; ils n’en demeurèrent pas moins dans la communion de leurs frères : on vit même des grands prêtres de leur secte.

Les pharisiens croyaient à la fatalité[1] et à la métempsycose[2]. Les esséniens pensaient que les âmes des justes allaient dans les îles fortunées[3], et celles des méchants dans une espèce de Tar-


    exprimer quelque chose qui n’est pas matière ; et ce mot souffle, vent, esprit, nous ramenant malgré nous à l’idée d’une substance déliée et légère, nous en retranchons encore ce que nous pouvons, pour parvenir à concevoir la spiritualité pure ; mais nous ne parvenons jamais à une notion distincte : nous ne savons même ce que nous disons quand nous prononçons le mot substance ; il veut dire, à la lettre, ce qui est dessous, et par cela même il nous avertit qu’il est incompréhensible : car qu’est-ce en effet que ce qui est dessous ? La connaissance des secrets de Dieu n’est pas le partage de cette vie. Plongés ici dans des ténèbres profondes, nous nous battons les uns contre les autres, et nous frappons au hasard au milieu de cette nuit, sans savoir précisément pour quoi nous combattons.

    Si l’on veut bien réfléchir attentivement sur tout cela, il n’y a point d’homme raisonnable qui ne conclût que nous devons avoir de l’indulgence pour les opinions des autres, et en mériter.

    Toutes ces remarques ne sont point étrangères au fond de la question, qui consiste à savoir si les hommes doivent se tolérer : car si elles prouvent combien on s’est trompé de part et d’autre dans tous les temps, elles prouvent aussi que les hommes ont dû, dans tous les temps, se traiter avec indulgence. (Note de Voltaire.)

  1. Le dogme de la fatalité est ancien et universel : vous le trouvez toujours dans Homère. Jupiter voudrait sauver la vie à son fils Sarpédon ; mais le destin l’a condamné à la mort : Jupiter ne peut qu’obéir. Le destin était, chez les philosophes, ou l’enchaînement nécessaire des causes et des effets nécessairement produits par la nature, ou ce même enchaînement ordonné par la Providence : ce qui est bien plus raisonnable. Tout le système de la fatalité est contenu dans ce vers d’Annæus Sénèque [épît. cvii] :
    Ducunt volentem fata, nolentem trahunt.

    On est toujours convenu que Dieu gouvernait l’univers par des lois éternelles, universelles, immuables : cette vérité fut la source de toutes ces disputes inintelligibles sur la liberté, parce qu’on n’a jamais défini la liberté, jusqu’à ce que le sage Locke soit venu ; il a prouvé que la liberté est le pouvoir d’agir. Dieu donne ce pouvoir ; et l’homme, agissant librement selon les ordres éternels de Dieu, est une des roues de la grande machine du monde. Toute l’antiquité disputa sur la liberté ; mais personne ne persécuta sur ce sujet jusqu’à nos jours. Quelle horreur absurde d’avoir emprisonné, exilé pour cette dispute, un Arnauld, un Sacy, un Nicole, et tant d’autres qui ont été la lumière de la France ! (Id.)

  2. Le roman théologique de la métempsycose vient de l’Inde, dont nous avons reçu beaucoup plus de fables qu’on ne croit communément. Ce dogme est expliqué dans l’admirable quinzième livre des Métamorphoses d’Ovide. Il a été reçu presque dans toute la terre ; il a été toujours combattu ; mais nous ne voyons point qu’aucun prêtre de l’antiquité ait jamais fait donner une lettre de cachet à un disciple de Pythagore. (Id.)
  3. Ni les anciens Juifs, ni les Égyptiens, ni les Grecs leurs contemporains, ne croyaient que l’âme de l’homme allât dans le ciel après sa mort. Les Juifs pensaient que la lune et le soleil étaient à quelques lieues au-dessus de nous, dans le même cercle, et que le firmament était une voûte épaisse et solide qui soutenait