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ENTRETIENS CHINOIS.

le jésuite.

Ah ! vous vous rendez à la fin. Je savais bien que je vous convertirais.


Quand le mandarin et le jésuite eurent été d’accord, le mandarin donna au moine cette profession de foi :

1o La religion consiste dans la soumission à Dieu et dans la pratique des vertus.

2o Cette vérité incontestable est reconnue de toutes les nations et de tous les temps : il n’y a de vrai que ce qui force tous les hommes à un consentement unanime ; les vaines opinions qui se contredisent sont fausses.

3o Tout peuple qui se vante d’avoir une religion particulière pour lui seul offense la Divinité et le genre humain ; il ose supposer que Dieu abandonne tous les autres peuples pour n’éclairer que lui.

4o Les superstitions particulières n’ont été inventées que par des hommes ambitieux qui ont voulu dominer sur les esprits, qui ont fourni un prétexte à la nation qu’ils ont séduite d’envahir les biens des autres nations.

5o Il est constaté par l’histoire que ces différentes sectes, qui se proscrivent réciproquement avec tant de fureur, ont été la source de mille guerres civiles ; et il est évident que si les hommes se regardaient tous comme des frères, également soumis à leur père commun, il y aurait eu moins de sang versé sur la terre, moins de saccagements, moins de rapines, et moins de crimes de toute espèce.

6o Des lamas et des bonzes qui prétendent que la mère du dieu Fo accoucha de ce dieu par le côté droit, après avoir avalé un enfant, disent une sottise ; s’ils ordonnent de la croire, ce sont des charlatans tyranniques ; s’ils persécutent ceux qui ne la croient pas, ils sont des monstres.

7o Les brames, qui ont des opinions un peu moins absurdes, et non moins fausses, auraient également tort de commander de les croire, quand même elles pourraient avoir quelque lueur de vraisemblance : car l’Être suprême ne peut juger les hommes sur les opinions d’un brame, mais sur leurs vertus et sur leurs iniquités. Une opinion, quelle qu’elle soit, n’a nul rapport avec la manière dont on a vécu ; il ne s’agit pas de faire croire telle ou telle métamorphose, tel ou tel prodige, mais d’être homme de bien. Quand vous êtes accusé devant un tribunal, on ne vous demande pas si vous croyez que le premier mandarin a