Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome27.djvu/435

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Nous sommes bien loin de vouloir qu’on tue les bourdons appelés moines ; nous respectons la piété et les autres vertus de Cucufin ; mais nous voudrions des vertus utiles.

Il nous en coûte plus de vingt millions par an pour nos seuls moines en France. Or quel bien ne feraient pas ces vingt millions répartis entre des familles de pauvres officiers, de pauvres cultivateurs !

Tous ces moines sont très-désintéressés : j’en tombe d’accord ; mais n’y a-t-il rien de mieux à faire ?

Quand tous les chrétiens répandus sur la surface de la terre couvriraient leurs barbes de jaunes d’œufs ; quand ils prendraient tous de la bouillie avec des fourchettes, il n’en reviendrait aucun avantage à la société ; mais que, dans la victoire d’Ivry, Henri IV s'écrie de rang en rang : Épargnez le sang français ! qu’il nourrisse le peuple même qu’il assiége ; qu’il pardonne à ceux qui ont crié dans les chaires : Assassinez le Béarnais au nom de Dieu ! qu’il paye exactement tous ceux qui lui ont vendu chèrement une soumission due à tant de titres ; qu’il fasse fleurir l’agriculture dans des campagnes auparavant désertes : ce sont là des vertus qui sont au-dessus de celles de Cucufin, et même de saint François, si j’ose le dire.

Nous avouons que saint François avait une femme de neige, et que ce n’était pas à de telles figures que s’adressait le grand Henri IV ; mais enfin la neige de saint François n’a rien produit ; et il est venu de la belle Gabrielle un duc de Vendôme, qui seul a remis Philippe V sur le trône d’Espagne. Les saints ont eu des faiblesses ; ce n’est pas leurs faiblesses qu’on révère. Et après tout, Deodatus, bâtard de saint Augustin, a été moins utile au monde que la race des Vendômes.

manière de servir les saints.

Que j’aime les saints ! que je voudrais les voir honorés, servis, imités avec plus de zèle qu’on n’en montre dans nos temps déplorables ! Nous en avons, Dieu merci, pour tous les jours de l’année ; mais les plus grands, sans contredit, sont ceux pour lesquels on ferme les boutiques dans les villes comme dans une sédition, et où on laisse la terre en friche pour courir au cabaret.

Serait-il si mal que les magistrats chargés de la police d’un grand royaume ordonnassent qu’après avoir fêté un saint par de belles antiennes latines, on l’imitât en travaillant, en cultivant la terre ?