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Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome28.djvu/28

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DISCOURS

ne lui est d’aucun secours ; mais elle ne sert qu’à le tromper, à l’induire dans le piège qu’elle lui tend, et à le faire chasser du paradis. Qui peut, dans cette narration, ne pas voir clairement les fables les plus incroyables ? Dieu devait sans doute connaître que ce qu’il regardait comme un secours pour Adam ferait sa perte, et que la compagne qu’il lui donnait était un mal plutôt qu’un bien pour lui.

Que dirons-nous du serpent qui parlait avec Ève ? De quel langage se servit-il ? Fut-ce de celui de l’homme ? Y a-t-il rien de plus ridicule dans les fables populaires des Grecs ?

N’est-ce pas la plus grande des absurdités de dire que Dieu, ayant créé Adam et Ève, leur interdit[1] la connaissance du bien et du mal[2] ? Quelle est la créature qui puisse être plus stupide que celle qui ignore le bien et le mal, et qui ne saurait les distinguer ? Il est évident qu’elle ne peut, dans aucune occasion, éviter le crime ni suivre la vertu, puisqu’elle ignore ce qui est crime et ce qui est vertu. Dieu avait défendu à l’homme de goûter du fruit qui pouvait seul le rendre sage et prudent. Quel est l’homme assez stupide pour ne pas sentir que, sans la connaissance du bien et du mal, il est impossible à l’homme d’avoir aucune prudence ?

Le serpent n’était donc point ennemi du genre humain, en


    grands fleuves qui sortent de ce jardin, et des promenades de Dieu à midi dans ce jardin, et de ses plaisanteries avec Adam, et du serpent condamné à marcher sur le ventre, comme s’il avait auparavant marché sur ses jambes, et comme si sa figure comportait des cuisses, des jambes et des pieds. Chaque mot est une sottise ; on ne pouvait les spécifier toutes. (Note de Voltaire.)

  1. Genèse, ch. ii, v. 17.
  2. L’empereur a très-grande raison. Rien n’est plus absurde que la défense de manger du fruit de l’arbre prétendu de la science du bien et du mal. Il fallait, au contraire, ordonner d’en manger beaucoup, afin que l’homme et la femme apprissent à éviter le mal et à faire le bien. Qui ne voit que la fable de la pomme est une grossière et plate imitation de la Boîte de Pandore ? C’est un rustre qui copie un bel esprit. Remarquez attentivement combien ces premiers chapitres de la Genèse sont absurdes, révoltants, blasphématoires. Il fut défendu de les lire chez les Juifs avant l’âge de vingt-cinq ans. Il eût bien mieux valu les supprimer. Cette défense est ridicule. Si vous supposez qu’on aura assez de bon sens à vingt-cinq ans pour les mépriser, pourquoi les transcrire ? Si vous voulez qu’on les révère, faites-les lire à sept ans. Il en est de ces contes juifs comme des moines. Si vous voulez qu’il y ait des moines, permettez qu’on fasse des vœux avant l’âge de raison. Si vous voulez extirper la moinerie, ordonnez qu’on ne fasse des vœux que quand on sera majeur.

    Voyez, lecteur sage, pesez ces raisons. Jugez d’un livre qu’on prétend dicté par Dieu même, livre qui contient la religion de Jérusalem et de Rome, et qu’on défendait de lire dans Jérusalem comme on défend encore de le lire dans Rome. (Note de Voltaire.)