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ROIS, III.

un manteau tout neuf. Et Ahias coupa son manteau en douze morceaux, et dit à Jéroboam : prends pour toi dix morceaux de mon manteau ; car voici ce que dit le seigneur le dieu d’Israël : je diviserai le royaume, et je t’en donnerai dix tribus et il ne restera qu’une tribu à Salomon, à cause de David mon serviteur, et de la ville de Jérusalem que j’ai choisie dans toutes les tribus d’Israël…[1]. Or Salomon voulut faire assassiner Jéroboam… et Salomon s’endormit avec ses peres, et il fut enseveli dans la ville de David son pere[2]. Roboam fils de Salomon vint à Sichem ; car toutes les tribus y étaient assemblées pour l’établir roi ; mais Jéroboam, fils de Nabath, ayant appris en égypte la mort du roi Salomon, revint de l’égypte. Il se présenta donc avec tout le peuple d’Israël devant Roboam, disant : ton pere nous avait chargé d’un joug très-dur ; diminue donc à présent un peu de l’extrême dureté de ton pere ; et nous te servirons…[3]. Roboam ayant consulté des jeunes gens de sa cour, répondit au peuple : le plus petit de mes doigts est plus gros que le dos de mon pere ; si mon pere vous a imposé un joug pesant, j’y ajouterai un joug

  1. nous avons déjà vu un lévite qui coupa sa femme en douze morceaux, parce qu’elle était morte de lassitude d’avoir été violée en Gabaa ; et maintenant voici un prophete nommé Ahias, qui ne coupe que son manteau en douze parts, pour signifier au rebelle Jéroboam que des douze tribus d’Israël il en aurait dix. Il aurait pu complotter contre Salomon avec ce rebelle sans qu’il lui en coutât un bon manteau tout neuf ; le dieu d’Israël ne donnait pas beaucoup de manteaux à ses prophetes ; on sait que leur garderobe était mal fournie ; apparemment que Jéroboam lui paya la valeur de son manteau.
  2. si Salomon voulut faire assassiner ce Jéroboam, il paraît qu’en effet Dieu lui avait donné la sagesse : il est toujours fort vilain d’assassiner ; mais enfin il s’agissait d’un royaume qui, dit-on, s’étendait de l’Euphrate à la mer. Salomon ne put venir à bout de son dessein, il mourut ; et de bonnes gens disputent encore s’il est damné. Les prophetes juifs n’agiterent point cette question. Il n’y avait point encore d’enfer de leur temps.
  3. ce Salomon était donc le plus avare juif qui fût parmi les juifs ; et son contrôleur général des finances méritait d’être pendu. Quoi ! De son temps on marchait sur l’or et l’argent dans les rues ; nous avons vu qu’il possédait environ trente-six milliards d’argent comptant ; et le cancre accablait encore son peuple d’impôts, après lui avoir fait manger en un jour cent quatre-vingts neuf millions deux cents mille livres de viande à seize onces la livre ! On a bien raison de dire qu’il n’y a rien de si avare qu’un prodigue. Pour Roboam, qui dit que Salomon avait fouetté son peuple avec des verges, et qu’il le fouetterait avec des scorpions ; c’est la réponse d’un tyran. Roboam méritait pis que ce qui lui arriva.