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DIALOGUES



TROISIÈME DIALOGUE.


Sur la philosophie d’Épicure, et sur la théologie grecque.


Callicrate.

J’ai parlé à nos bons épicuriens. La plupart persistent à croire que leur doctrine au fond n’est guère différente de la vôtre. Vous admettez également un pouvoir éternel, occulte, invisible : mais comme ils sont gens de bon sens, ils avouent qu’il faut que ce pouvoir soit pensant, puisqu’il a fait des animaux qui pensent.

Évhémère.

C’est un grand pas dans la connaissance de la vérité ; mais pour ceux qui osent dire que la matière peut avoir d’elle-même la faculté de la pensée, il m’est impossible de raisonner avec eux, car je pars d’un principe : « Pour produire un être pensant, il faut l’être : » et ils partent d’une supposition : « La pensée peut être donnée par un être qui ne pense point, » disons plus, par un être qui n’existe point : car nous avons vu clairement qu’il n’y a point d’être qui soit la nature, et que ce n’est qu’un nom abstrait donné à la multitude des choses.

Callicrate.

Dites-nous donc comment ce pouvoir secret et immense que vous appelez Dieu nous donne la vie, le sentiment, et la pensée. Nous avons une âme ; les autres animaux en ont-ils une ? Qu’est-ce que cette âme ? Arrive-t-elle dans notre corps quand nous sommes en embryon[1] dans le ventre de notre mère ? Où va-t-elle quand ce corps est dissous ?

Évhémère.

Je suis invinciblement persuadé que Dieu nous a donné à nous, aux animaux, aux végétaux, aux soleils, et aux grains de sable, tout ce que nous avons, toutes nos facultés, toutes nos propriétés. Il est un art si profond et si incompréhensible dans les organes qui nous mettent au monde, qui nous font vivre, qui nous font penser, et dans les lois qui dirigent toutes choses,

  1. Les anciens embryologues croyaient que l’âme n’arrivait que vers le quarantième jour de la conception chez les garçons, et qu’elle se faisait attendre le double de ce temps, au moins, chez les filles ; mais l’Embryologie sacrée (imprimée par extrait à Caen, 1817, in-12), en rejetant une distinction si peu galante, admet que « le germe a une âme raisonnable au moment de la conception », quel que soit le sexe de ce germe. (Cl.)