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DIALOGUES

ne dépend de l’âme, ni l’âme du corps : et que l’âme sent et pense de son côté, tandis que le corps agit du sien conformément. De sorte qu’un corps peut être à un bout de l’univers et son âme à l’autre bout, tous deux d’une intelligence parfaite ensemble, sans se rien communiquer : l’un joue du violon au fond de l’Afrique, l’autre danse en cadence dans l’Inde. Cette âme est toujours d’accord avec le corps, son mari, sans lui parler jamais, parce qu’elle est un miroir concentrique de l’univers. Vous comprenez bien ?

Callicrate.

Pas un mot, Dieu merci ! Mais ces belles choses sont-elles prouvées ?

Évhémère.

Non pas que je sache ; mais les gazettes de l’esprit, qui sont les miroirs concentriques de tout ce qu’on appelle science, en parlent une fois l’an pour trente oboles, et cela suffit à la gloire de l’inventeur et à la satisfaction de ses zélés partisans.

Je ne vous ai parlé des gens qui causent avec le verbe, et de ceux dont l’âme est un miroir concentrique, que pour vous faire voir qu’il y a de la chaleur d’imagination dans les climats glacés[1]. Ce soir, si vous voulez, je vous dirai des choses beaucoup plus solides et plus brillantes.

Callicrate.

Je suis impatient de les apprendre ; vous me transportez dans un nouveau monde.



HUITIÈME DIALOGUE.


Grandes découvertes des philosophes barbares ; les grecs
ne sont auprès d’eux que des enfants.


Évhémère.

Depuis que dans différents pays quelques hommes ont commencé à cultiver leur faculté de raisonner, on a toujours recherché en vain pourquoi les corps, quels qu’ils soient, tombent de l’air sur la terre, et pourquoi ils iraient au centre du globe s’ils n’étaient pas arrêtés par la superficie, comme on l’a expérimenté

  1. Leibnitz naquit à Leipsick en 1646, comme le dit une note du Temple du Goût ; voyez tome VIII, page 566. Ce philosophe presque universel s’est essayé dans le genre du dialogue. Un de ses opuscules est intitulé Dialogus inter res et verba. Voyez ci-après, page 514.