Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/118

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Quiconque voudra rentrer dans lui-même, et écouter la raison qui parle à tous les hommes, comprendra bien aisément que nous ne sommes point nés pour examiner si Dieu créa autrefois des debta, des génies, il y a quelques millions d’années, comme le disent les brachmanes ; si ces debta se révoltèrent, s’ils furent damnés, si Dieu leur pardonna, s’il les changea en hommes et en vaches. Nous pouvons en conscience ignorer la théologie de l’Inde, de Siam, de la Tartarie, et du Japon, comme les peuples de ces pays-là ignorent la nôtre. Nous ne sommes pas plus faits pour étudier les opinions qui se répandirent vers la Syrie, il n’y a pas trois mille ans, ou plutôt des paroles vides de sens qui passaient pour des opinions. Que nous importe des ébionites, des nazaréens, des manichéens, des ariens, des nestoriens, des eutychiens, et cent autres sectes ridicules ?

Que nous reviendrait-il de passer notre vie à nous tourmenter au sujet d’Osiris ? d’étudier des cinq années entières pour savoir les noms de ceux qui ont dit qu’une voix céleste annonça la naissance d’Osiris à une sainte femme nommée Pamyle, et que cette sainte femme l’alla proclamer par tout l’univers ? Nous consumerons-nous pour expliquer comment Osiris et Isis avaient été amoureux l’un de l’autre dans le ventre de leur mère[1], et y engendrèrent le dieu Horus ? C’est un grand mystère ; mais vingt générations d’hommes s’égorgeront-elles pour trouver le vrai sens de ce mystère, et l’entendront-elles mieux après s’être égorgées ?

Nulle vérité utile n’est née, sans doute, des querelles sanglantes qui ont désolé l’Europe et l’Asie, pour savoir si l’Être nécessaire, éternel, et universel, a eu un fils plutôt qu’une fille, si ce fils fut engendré avant ou après les siècles, s’il est la même chose que son père, et différent en nature ; si, étant engendré dans le ciel, il est encore né sur la terre ; s’il y est mort d’un supplice odieux ; s’il est ressuscité ; s’il est allé aux enfers ; s’il a depuis été mangé tous les jours, et si on a bu son sang après avoir mangé son corps, dans lequel était ce sang ; si ce fils avait deux natures, si ces deux natures composaient deux personnes ; si un saint souffle a été produit par la spiration du père ou par celle du père et du fils, et si ce souffle n’a fait qu’un seul être avec le père et le fils.

Nous ne sommes pas faits, ce me semble, pour une telle métaphysique, mais pour adorer Dieu, pour cultiver la terre qu’il nous a donnée, pour nous aider mutuellement dans cette courte

  1. Voyez Plutarque, chapitre d’Isis et d’Osiris. (Note de Voltaire.)