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270 EXCUSE A ARISTE.

Me fit devenir poëte aussitôt qu'amoureux;

Elle eut mes premiers vers, elle eut mes premiers feux

Et bien ([ue maintenant celte belle inhumaine

Traite mon souvenir avec un peu de haine,

Je me trouve toujours en état de l'aimer;

Je me sens tout ému quand je l'entends nommer;

Et par le doux effet d'une prompte tendresse,

Mon cœur sans mon aveu reconnoît sa maîtresse.

Après beaucoup de vœux et de soumissions -,

Un malheur rompt le cours de nos affections;

Riais toute mon amour en elle consommée,

Je ne vois rien d'aimable après l'avoir aimée :

Aussi n'aimé-je plus ^, et nul objet vainqueur

N'a possédé depuis ma veine ni mon cœur.

Vous le dirai-je, ami? tant qu'ont duré nos flanmies,

Ma muse également chatouilloit nos deux âmes :

Elle avoit sur la mienne un absolu pouvoir;

J'aimois à le décrire, elle à le recevoir.

Une voix ravissante, ainsi que son visage,

La faisoit appeler le phénix de notre âge,

Et souvent de sa part je me suis vu presser

Pour avoir de ma main de quoi mieux Texorcer.

Jugez vous-même, Ariste, a cette douce amorce.

Si mon génie étoit pour épargner sa force.

Cependant mon amour, le père de mes vers,

Le fils du plus bel œil qui fût en l'univers,

A qui désobéir c'étoit pour moi des crimes,

Jamais en sa faveur n'a pu tirer deux rimes :

Tant mon esprit, alors contre moi révolté.

En haine des chansons sembloit m'avoir quitté;

Tant ma veine se trouve aux airs mal assortie,

Tant avec la musique elle a d'antipathie ;

Tant alors de bon cœur elle renonce au jour :

Et l'amitié voudroit ce que n'a pu l'amour!

N'v pensez plus, Ariste; une telle injustice

Exposeroit ma muse à son plus grand supplice.

Laissez-la, toujours libre, agir suivant son choix.

Céder à son caprice, et s'en faire des lois.

��1. Ldit. orhj. : elle eut mes derniers feux.

2. Èdit. orig. : submissions.

3. Édil. orig. : n'aimai-je plii>.

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