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388 REMARQUES SUR POLYEUCTE.

Vers 8.J. Un peu moins de fortune, et plus tôt arrivée,

Eût gagné l'un par l'autre, et me l'eût conservée.

L'un par l'autre ne se rapporte à rien; on devine seulement qu'il eût gagné Félix par Pauline. Il faut éviter en poésie ces termes, celui-ci, celui-là, l'un, l'autre, le premier, le second, tous termes de discussion, tous d'une prose rampante, qui ne peuvent être employés qu'avec une extrême circonspection.

Vers 88. Laissc-la-inoi donc voir, soupirer, el mourir.

Un général d'armée qui vient en Arménie soupirer et mourir^ en rondeau, paraît très-ridicule aux gens sensés de l'Europe. Cette imitation des héros de la chevalerie infectait déjà notre théâtre dans sa naissance : c'est ce que Boileau appelle mourir par nùtaphore^. L'écuyer Fahian, qui parle des vrais amants, est encore un écuyer de roman. Tout cela est vrai ; et il n'est pas moins vrai que l'amour de Sévère intéresse, parce que tous ses sentiments sont nobles.

On n'insiste pas ici sur la douceur infinie de l'hymen, sur ces expressions: Éclaircis-moi ce point; vous vous échapperez; ne pousse qu'injure; et les premiers mouvements des vrais amants. Il est peut-être un peu étrange que Pauline ait parlé de ces premiers mouvements à l'écuyer Fabian ; mais enfin tout cela n'ôte rien à l'intérêt théâtral.

SCÈNE II.

Vers 3. Pauline a l'àme noble, et parle à cœur ouvert.

Plus on a l'àme noble, moins on doit le dire. L'art consiste à faire voir cette noblesse sans l'annoncer. Racine n'a jamais man- qué à cette règle. Corneille fait toujours dire à ses héros qu'ils sont grands: ce serait les avilir, s'ils pouvaient l'être. L'opposé de la magnanimité est de se dire magnanime. Ce n'est guère que dans un excès de passion, dans un moment où l'on craint d'être avili, qu'il est permis de parler ainsi de soi-même.

Vers 4. Le bruit de votre mort n'est point ce qui vous perd.

Ce qui vous perd n'est pas tout à fait le mot propre. Une femme qui a manqué un mariage si avantageux ne doit pas dire à un homme tel que Sévère : Vous êtes perdu parce que vous n'êtes pas à moi.

1. Satire ix, vers 264.

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