Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/60

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tière grossière ; sa permanence après la mort du corps, ses récompenses et ses châtiments après cette mort ; et même sa résurrection avec un corps tombé en pourriture. Il réduisit cette philosophie en système dans son Phédon, dans son Timée, et dans sa République imaginaire ; il orna ses arguments d’une éloquence harmonieuse et d’images séduisantes.

Il est vrai que ses arguments ne sont pas la chose du monde la plus claire et la plus convaincante. Il prouve d’une étrange manière, dans son Phédon, l’immortalité de l’âme, dont il suppose l’existence sans avoir jamais examiné si ce que nous nommons âme est une faculté donnée de Dieu à l’espèce animale, ou si c’est un être distinct de l’animal même. Voici ses paroles : « Ne dites-vous pas que la mort est le contraire de la vie ? — Oui. — Et qu’elles naissent l’une de l’autre ? — Oui. — Qu’est-ce donc qui naît du vivant ? — Le mort. — Et qu’est-ce qui naît du mort ?... Il faut avouer que c’est le vivant : c’est donc des morts que naissent toutes les choses vivantes ? — Il me le semble. — Et, par conséquent, les âmes vont dans les enfers après notre mort ? — La conséquence est sûre. »

C’est cet absurde galimatias de Platon (car il faut appeler les choses par leur nom) qui séduisit la Grèce. Il est vrai que ces ridicules raisonnements, qui n’ont pas même le frêle avantage d’être des sophismes, sont quelquefois embellis par de magnifiques images toutes poétiques ; mais l’imagination n’est pas la raison. Ce n’est pas assez de représenter Dieu arrangeant la matière éternelle par son logos, par son verbe ; ce n’est pas assez de faire sortir de ses mains des demi-dieux composés d’une matière très déliée, et de leur donner le pouvoir de former des hommes d’une matière plus épaisse ; ce n’est pas assez d’admettre dans le grand Dieu une espèce de trinité composée de Dieu, de son verbe, et du monde ; il poussa son roman jusqu’à dire qu’autrefois les âmes humaines avaient des ailes, que les corps des hommes avaient été doubles. Enfin, dans les dernières pages de sa République, il fit ressusciter Hérès pour conter des nouvelles de l’autre monde ; mais il fallait donner quelques preuves de tout cela, et c’est ce qu’il ne fit pas.

Aristote fut incomparablement plus sage il douta de ce qui n’était pas prouvé. S’il donna des règles de raisonnement, qu’on trouve aujourd’hui trop scolastiques, c’est qu’il n’avait pas pour auditeurs et pour lecteurs un Montaigne, un Charron, un Bacon, un Hobbes, un Locke, un Shaftesbury, un Bolingbroke, et les bons philosophes de nos jours. Il fallait démontrer, par une mé-