Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/94

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fices. Toutes les nations offraient à leurs dieux de la viande. Les temples les plus beaux n’étaient que des boucheries. Les rites des Gentils et des Juifs étaient des fraises de veau, des épaules de mouton, et des rosbifs, dont les prêtres prenaient la meilleure part. Les parvis des temples étaient continuellement infectés de graisse, de sang, de fiente, et d’entrailles dégoûtantes. Les Juifs eux-mêmes avaient senti quelquefois le ridicule et l’horreur de cette manière d’adorer Dieu. Fabricius nous a conservé l’ancien conte d’un Juif qui se mêla d’être plaisant, et qui fit sentir combien les prêtres juifs, ainsi que les autres, aimaient à faire bonne chère aux dépens des pauvres gens. Le grand-prêtre Aaron va chez une bonne femme qui venait de tondre la seule brebis qu’elle avait : « Il est écrit, dit-il, que les prémices appartiennent à Dieu ; » et il emporte la laine. Cette brebis fait un agneau : « Le premier né est consacré ; » il emporte l’agneau, et en dîne. La femme tue sa brebis ; il vient en prendre la moitié, selon l’ordre de Dieu. La femme, au désespoir, maudit sa brebis : « Tout anathème est à Dieu, » dit Aaron ; et il mange la brebis tout entière. C’était là à peu près la théologie de toutes les nations.

Les chrétiens, dans leur premier institut, faisaient ensemble un bon souper à portes fermées. Ensuite ils changèrent ce souper en un déjeuner où il n’y avait que du pain et du vin. Ils chantaient à table les louanges de leur Christ ; prêchait qui voulait. Ils lisaient quelques passages de leurs livres, et mettaient de l’argent dans la bourse commune. Tout cela était plus propre que les boucheries des autres peuples, et la fraternité, établie si longtemps entre les chrétiens, était encore un nouvel attrait qui leur attirait des novices.

L’ancienne religion de l’empire ne connaissait, au contraire, que des fêtes, des usages, et les préceptes de la morale commune à tous les hommes. Elle n’avait point de théologie liée, suivie. Toutes ces mythologies fabuleuses se contredisaient, et les généalogies de leurs dieux étaient encore plus ridicules aux yeux des philosophes que celle de Jésu ne pouvait l’être.


Chapitre XIV. Affermissement de l’association chrétienne sous plusieurs empereurs, et surtout sous Dioclétien.

Le temps du triomphe arriva bientôt, et certainement ce ne fut point par des persécutions : ce fut par l’extrême condescendance