Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome31.djvu/98

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un père qu’ils aimaient et qu’ils craignaient. Enfin, en 306, se sentant malade, lassé du tumulte des affaires, et détrompé de la vanité des grandeurs, il abdiqua solennellement l’empire, comme fit depuis Charles-Quint ; mais il ne s’en repentit pas, puisque son collègue Maximien-Hercule, qui abdiqua comme lui, ayant voulu depuis remonter sur le trône du monde connu, et ayant vivement sollicité Dioclétien d’y remonter avec lui, cet empereur, devenu philosophe, lui répondit qu’il préférait ses jardins de Salone à l’empire romain.

Qu’on nous permette ici une petite digression qui ne sera pas étrangère à notre sujet. D’où vient que dans les plates histoires de l’empire romain, qu’on fait et qu’on refait de nos jours, tous les auteurs disent que Dioclétien fut forcé pas son gendre Galérius de renoncer au trône ? C’est que Lactance l’a dit. Et qui était ce Lactance ? C’était un avocat véhément, prodigue de paroles, et avare de bon sens : voyons ce que plaide cet avocat.

Il commence par assurer que Dioclétien, contre lequel il plaide, devint fou, mais qu’il avait quelques bons moments. Il rapporte mot pour mot l’entretien que son gendre Galérius eut avec lui, tête à tête, dans le dessein de le faire enfermer :

L’empereur Nerva[1] (lui dit Galérius) abdiqua l’empire. Si vous ne voulez pas en faire autant, je prendrai mon parti.

DIOCLÉTIEN.

Eh bien ! qu’il soit donc fait comme il vous plaît. Mais il faut que les autres césars en soient d’avis.

GALÉRIUS.

Qu’est-il besoin de leurs avis ? Il faut bien qu’ils approuvent Cc que nous aurons fait.

DIOCLÉTIEN.

Que ferons-nous donc ?

GALÉRIUS.

Choisissons Sévère pour césar.

DIOCLÉTIEN.

Qui ? ce danseur, cet ivrogne, qui fait du jour la nuit, et de la nuit le jour !

GALÉRIUS.

Il est digne d’être césar, car il a donné de l’argent aux troupes ; et j’ai déjà envoyé à Maximien pour qu’il le revête de la pourpre.

  1. Lactantius, de Mortibus persecutorum, page 207, édition de De Bure, in-4o. (Note de Voltaire.)