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CORRESPONDANCE.

d’ennemis, et si on me croit toujours son véritable père. Que Thieriot, son père nourricier, songe aussi à m’écrire tous les jours, si sa paresse peut le lui permettre ; il n’y a qu’à envoyer les lettres chez Mme de Villette, qui envoie tous les jours un courrier ici. Rien ne sera plus aisé que d’entretenir un commerce très-régulier. Je crois déjà être ici à cent lieues de Paris ; milord Bolingbroke me fait oublier et Henri IV, et Mariamne, et comédiens, et libraires. Je vous demande en grâce de me faire souvenir de tout cela, et de croire que je ne vous oublierai jamais, et que votre amitié m’est plus chère que ma réputation et mon intérêt.



77. — À M. THIERIOT.
À Blois, 2 janvier 1723.

Il faut que je vous fasse part de l’enchantement où je suis du voyage que j’ai fait à la Source, chez milord Bolingbroke et chez Mme de Villette[1]. J’ai trouvé dans cet illustre Anglais toute l’érudition de son pays, et toute la politesse du nôtre. Je n’ai jamais entendu parler notre langue avec plus d’énergie et de justesse.

Cet homme, qui a été toute sa vie plongé dans les plaisirs et dans les affaires, a trouvé pourtant le moyen de tout apprendre et de tout retenir. Il sait l’histoire des anciens Égyptiens comme celle d’Angleterre. Il possède Virgile comme Milton ; il aime la poésie anglaise, la française, et l’italienne ; mais il les aime différemment, parce qu’il discerne parfaitement leurs différents génies.

Après le portrait que je vous fais de milord Bolingbroke, il me siéra peut-être mal de vous dire que Mme de Villette, et lui, ont été infiniment satisfaits de mon poëme. Dans l’enthousiasme de l’approbation, ils le mettaient au-dessus de tous les ouvrages de poésie qui ont paru en France ; mais je sais ce que je dois rabattre de ces louanges outrées. Je vais passer trois mois à en mériter une partie. Il me paraît qu’à force de corriger, l’ouvrage prend enfin une forme raisonnable. Je vous le montrerai à mon retour, et nous l’examinerons à loisir. À l’heure qu’il est, M. de Canillac[2] le lit et me juge. Je vous écris en attendant le jugement.

  1. Voyez la note, tome XIV, page 470.
  2. Voyez tome XIV, page 479 ; tome XV, chap. ier du Précis du Siècle de Louis XV ; et tome XXX, le cinquième des Articles extraits du Journal de politique et de littérature.