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CORRESPONDANCE.

les vers, je vous montrerai cet essai d’un nouveau chant dont M. d’Argenson vous a parlé. Vous verrez encore une nouvelle Mariamne. Je crois que c’est cette misérable qui m’a tué, et que je suis frappé de la lèpre pour avoir trop maltraité les Juifs. Adieu, ma chère et généreuse amie : c’est trop badiner pour un moribond ; mais le plaisir de m’entretenir avec vous suspend pour un moment tous mes maux. Revenez, je vous en conjure ; ce sera une belle action.



128. — À M. THIERIOT.

20 septembre.

Ma santé ne me permet pas encore de vous aller trouver : je suis toujours à l’hôtel Bernières, et j’y vis dans la solitude et dans la souffrance ; mais l’une et l’autre est adoucie par un travail modéré qui m’amuse et qui me console. La maladie ne m’a pas rendu moins sensible à l’égard de mes amis ni moins attentif à leurs intérêts. J’ai engagé M. le duc de Richelieu à vous prendre pour son secrétaire dans son ambassade. Il avait envie d’avoir M. Champeaux[1] frère de M. de Pouilly ; Destouches[2] même voulait faire avec lui le voyage ; mais j’ai enfin déterminé son choix pour vous. Je lui ai dit que, ne pouvant le suivre si tôt à Vienne, je lui donnais la moitié de moi-même, et que l’autre suivrait bientôt. Si vous êtes sage, mon cher Thieriot, vous accepterez cette place qui, dans l’état où nous sommes, vous devient aussi nécessaire qu’elle est honorable. Vous n’êtes pas riche, et c’est bien peu de chose qu’une fortune fondée sur trois ou quatre actions de la Compagnie des Indes. Je sais bien que ma fortune sera toujours la vôtre ; mais je vous avertis que nos affaires de la chambre des comptes vont très-mal, et que je cours risque de n’avoir rien du tout de la succession de mon père. Dans ces circonstances il ne faut pas que vous négligiez la place que mon amitié vous a ménagée. Quand elle ne vous servirait qu’à faire sans frais et avec des appointements le voyage du monde le plus agréable, et à vous faire connaître, à vous rendre capable d’affaires, et à développer vos talents, ne seriez-vous pas trop heureux ? Ce poste peut conduire très-aisément un homme d’esprit qui est sage à des emplois et à des places assez avantageuses.

  1. Lévesque de Champeaux (et non Champot), frère de Louis-Jean Lévesque de Pouilly, et de Lévesque de Burigny, avec lesquels Voltaire fut en correspondance.
  2. Néricault, qui n’avait encore donné aucun de ses chefs-d’œuvre dramatiques, mais qui avait été chargé de plusieurs négociations diplomatiques.