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ANNÉE 1724.

me tiendra toujours lieu de tout le reste. Si mon goût décidait de ma conduite, je serais à la Rivière avec vous ; mais je suis arrêté à Paris par Bosleduc, qui me médicamente ; par Capron qui me fait souffrir comme un damné tous les jours avec de l’essence de cannelle, et enfin par les intérêts de notre cher Thieriot, que j’ai plus à cœur que les miens. Il faut qu’il vous dise, et qu’il ne dise qu’à vous seule, qu’il ne tient qu’à lui d’être un des secrétaires de l’ambassade de M. de Richelieu. J’ai oublié même de lui dire dans ma lettre qu’il n’aurait personne dans ce poste au-dessus de lui, et que par là sa place en sera infiniment plus agréable. Vous savez sa fortune, elle ne peut pas lui donner de quoi exercer heureusement le talent de l’oisiveté. La mienne prend un tour si diabolique à la chambre des comptes que je serai peut-être obligé de travailler pour vivre, après avoir vécu pour travailler. Il faut que Thieriot me donne cet exemple. Il ne peut rien faire de plus avantageux ni de plus honorable dans la situation où il se trouve, et il faut assurément que je regarde la chose comme un coup de partie, puisque je peux me résoudre à me priver de lui pour quelque temps. Cependant s’il peut s’en passer, s’il aime mieux vivre avec nous, je serai trop heureux, pourvu qu’il le soit : je ne cherche que son bonheur ; c’est à lui de choisir. J’ai fait en cela ce que mon amitié m’a conseillé. Voilà comment j’en userai toute ma vie avec les personnes que j’aime, et, par conséquent, avec vous, pour qui j’aurai toujours l’attachement le plus sincère et le plus tendre.



132. — À M. THIERIOT.

Octobre.

Quand je vous ai proposé la place de secrétaire dans l’ambassade de M. le duc de Richelieu, je vous ai proposé un emploi que je donnerais à mon fils si j’en avais un, et que je prendrais pour moi si mes occupations et ma santé ne m’en empêchaient pas. J’aurais assurément regardé comme un grand avantage de pouvoir m’instruire des affaires sur le plus beau théâtre et dans la première cour de l’Europe. Cette place même est d’autant plus agréable qu’il n’y a point de secrétaire d’ambassade en chef ; que vous auriez eu une relation nécessaire et suivie avec le ministre ; et que, pour peu que vous eussiez été touché de l’ambition de vous instruire et de vous élever par votre mérite et par votre assiduité au travail le plus honorable et le plus digne d’un homme d’esprit, vous auriez été plus à portée qu’un autre de