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CORRESPONDANCE.

à être secrétaire de M. le duc de Richelieu, dans son ambassade. Je serai longtemps fâché qu’il ait refusé la plus belle occasion de faire fortune qui se présentera jamais pour lui ; mais je ne le serais pas moins, si c’était par une vanité mal entendue, et hors de toute bienséance, qu’il perdît des choses solides. Je me flatte que vos bontés pour lui le dédommageront de ce qu’il veut perdre ; mais qu’il songe bien sérieusement qu’il doit mener la véritable vie d’un homme de lettres ; qu’il n’y a pour lui que ce parti, et qu’il serait bien peu digne de l’estime et de l’amitié des honnêtes gens s’il manquait sa fortune pour être un homme inutile. Je lui écris sur cela une longue lettre que je mets dans votre paquet : du moins il n’aura pas à me reprocher de ne lui avoir pas dit la vérité.

Je voudrais, de tout mon cœur, être avec vous : vous n’en doutez pas ; il faut même que je sois dans un bien misérable état pour ne vous pas aller trouver. Je me suis mis entre les mains de Bosleduc, qui, à ce que j’espère, me guérira du mal que les eaux de Forges m’ont fait. J’en ai encore pour une quinzaine de jours. Si ma santé est bien rétablie dans ce temps-là, j’irai vous trouver ; mais si je suis condamné à rester à Paris, aurez-vous bien la cruauté de rester chez vous le mois de décembre, et de donner la préférence aux neiges de Normandie sur votre ami Voltaire ?



134. — À M. THIERIOT.

Octobre.

Mon amitié, moins prudente peut-être que vous ne dites, mais plus tendre que vous ne pensez, m’engagea, il y a plus de quinze jours, à vous proposer à M. de Richelieu pour secrétaire dans son ambassade. Je vous en écrivis sur-le-champ, et vous me répondîtes, avec assez de sécheresse, que vous n’étiez pas fait pour être domestique de grand seigneur. Sur cette réponse je ne songeai plus à vous faire une fortune si honteuse, et je ne m’occupai plus que du plaisir de vous voir à Paris, le peu de temps que j’y serai cette année. Je jetai en même temps les yeux d’un autre côté pour le choix d’un secrétaire dans l’ambassade de M. le duc de Richelieu. Plusieurs personnes se sont présentées ; l’abbé Desfontaines[1], l’abbé Mac-Carthy[2], enviaient ce poste, mais ni l’un ni l’autre

  1. Pierre-François Guyot-Desfontaines, né à Rouen en 1685, mort en 1745 ; voyez tome XXII, page 371 ; tome XXIII, pages 25, 27.
  2. Irlandais, fils d’un chirurgien de Nantes. Il escroqua de l’argent à Voltaire, et s’en alla à Constantinople, où il fut circoncis, et même empalé. Voyez la lettre du 2 décembre 1737, à Berger.