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CORRESPONDANCE.

dans ce moment chercher M. de Gervasi ; et, s’il va à la Rivière-Bourdet, je vais bien envier sa destinée. Je vous avertis d’avance, ma chère reine, que M. de Gervasi et tous les médecins de la faculté vous seront inutiles si vous n’avez pas un régime exact, et qu’avec ce régime vous pourrez vous passer d’eux à merveille. Mettez la main sur la conscience, et avouez que vous avez été quelquefois un peu gourmande. C’est un vilain vice auquel je vous ai vue très-adonnée, et je vous dirai, comme Voiture,

Que vous étiez bien plus heureuse,
Lorsque vous étiez autrefois
Je ne veux pas dire amoureuse,
La rime le dit toutefois[1] !

Aimez et mangez un peu moins : l’école de Salerne ne peut vous donner de meilleurs conseils. Mandez-moi donc, je vous en conjure, comment vous vous portez. Thieriot m’a écrit que votre maudit rhumatisme vous a quittée ; mais n’a-t-il laissé nulle impression ? Vos yeux ont-ils beaucoup souffert ? Êtes-vous parfaitement guérie ? Pourquoi faut-il que vous me négligiez assez pour me laisser ignorer l’état où vous avez été, et celui où vous êtes ? Je passai hier tout le soir avec Mme de Lutzelbourg[2] à parler de vous. Elle vous aime de tout son cœur ; elle pense comme moi ; elle aimerait bien mieux être à la Rivière qu’à Fontainebleau, La pauvre femme sèche ici sur pied. On a brûlé sa maison, et on ne parle pas encore de la dédommager. Cela doit apprendre aux particulières à se piquer un peu moins de loger chez elles des reines. Mme de Lutzelbourg demande justice, et ne l’obtient point. Jugez ce qu’il arrivera de moi, chétif, qui ne suis ici que pour demander des grâces. Ah ! madame, je ne suis pas ici dans mon élément ; ayez pitié d’un pauvre homme qui a abandonné la Rivière-Bourdet, sa patrie, pour un pays étranger. Insensé que je suis ! Je pars dans deux jours, avec M. le duc d’Antin[3], pour aller à Bellegarde voir le roi Stanislas ; car il n’y a sottise dont je ne m’avise. De là je retourne à Bélébat, une

  1. Ces vers font partie d’une pièce de Voiture que nous avons donnée, tome XIV, page 143.
  2. Marie-Ursule de Klinglin, mariée à Walter de Lutzelbourg, ou Luzbourg, duquel elle devint veuve en 1736 ; morte âgée de quatre-vingt-deux ans, en son château de l’IIe-Jard, près de Strasbourg, le 23 janvier 1765. Elle était fille de Jean-Baptiste de Klinglin, préteur royal de Strasbourg, et sœur de Christophe de Klinglin, premier président du conseil supérieur d’Alsace. (Cl.)
  3. Louis-Antoine de Pardaillan de Gondrin, seigneur de Bellegarde, premier duc d’Antin, né en 1665 ; aïeul du duc d’Épernon cité dans une note de la lettre 151.