Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/176

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vous aime réellement, que je regrette Mme de Bernières plus qu’elle ne pense, que je serais consolé si je pouvais trouver en Angleterre quelque imagination comme Mme du Deffant, et quelque malade comme le chevalier des Alleurs, que je suis très fâché d’avoir connu si peu Mme de Godefroy, et qu’il faut que vous m’écriviez tout à l’heure quelque longue lettre où il y ait bien des nouvelles et bien des amitiés de votre part et de celle de Mme de Bernières, à laquelle je serai attaché toute ma vie.



164. — À MADAME DE FERRIOL[1]

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Calais, 6 mai.

N’auriez-vous point, madame, quelques ordres à me donner pour M. ou pour Mme de B***[2] ? j’attends à Calais que vous daigniez me charger de quelques commissions. Je suis ici chez M. Dunoquet[3], et je sens bien à la réception qu’il me fait qu’il croit que vous m’honorez d’un peu d’amitié. La première chose que je fais dans ce pays-ci est de vous écrire. C’est un devoir dont mon cœur s’acquitte. Vos bontés pour moi sont aussi grandes que mes malheurs, et sont bien plus vivement ressenties. Vous avez toujours été constante dans la bienveillance que je vous ai vue pour moi, et je vous assure que vous êtes ce que je regrette le plus en France, Si j’avais pu vivre selon mon choix, j’aurais assurément passé ma vie dans votre cour ; mais ma destinée est d’être malheureux, et par conséquent loin de vous. Permettez-moi de saluer et d’embrasser M. de Pont-de-Veyle[4] et M. d’Argental. Ayez la bonté d’assurer Mme de Tencin qu’une de mes plus grandes peines, à la Bastille, a été de savoir qu’elle y fût[5]. Nous étions comme Pyrame et Thisbé : il n’y avait qu’un mur qui nous séparât, mais nous ne nous baisions point par la fente de la cloison. Et vous, la nymphe de Circassie[6], et surtout celle de M. Dunoquet, dont vous avez rendu la femme jalouse, je vous jure que s’il y avait seulement en France trois personnes comme vous, je me pendrais de désespoir d’en sortir. Si vous voulez mettre le comble aux consolations que je reçois dans mon Malheur, faites-moi l’honneur de me donner de vos nouvelles et de m’envoyer vos ordres.

  1. Éditeurs, de Cayrol et François.
  2. Sans doute M. et Mme de Bolingbroke.
  3. Trésorier des troupes.
  4. Antoine de Ferriol, comte de Pont-de-Veyle, frère aîné de d’Argental.
  5. Elle y était entrée le même jour que Voltaire (17 avril).
  6. Mlle Aissé.