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ANNÉE 1727.



169. — À M. THIERIOT.

2 février (vieux style[1]) 1727.

Je reçus hier votre lettre du 26 janvier (n. s.) ; je vous avoue que je ne comprends pas comment vous n’avez reçu qu’un tome des Voyages de Gulliver[2] ; il y a près de trois mois que je chargeai M. Dussol des deux tomes pour vous. Vous étiez en ce temps-là en Normandie.

Ayant été trois mois sans recevoir de vous aucun signe de vie, je m’imaginais que vous traduisiez Gulliver, et je me consolais de votre silence par l’espérance d’une bonne traduction, qui, selon moi, vous aurait fait beaucoup d’honneur et de profit.

Vous me mandez que vous n’avez reçu de M. Dussol que le premier volume, et que vous n’avez pas voulu le traduire, dans l’incertitude d’avoir le second. À cela, mon cher ami, je vous répondrai que je vous aurais pu envoyer tous les livres d’Angleterre en moins de temps que vous n’en pouviez mettre à traduire la moitié de Gulliver. Mais comment se peut-il faire que vous n’ayez différé votre traduction qu’à cause de ce second volume, qui vous manque, puisque vous me dites que vous n’avez lu que trois chapitres du premier tome ? Si vous voulez remplir les vues dont vous me parlez, par la traduction d’un livre anglais, Gulliver est peut-être le seul qui vous convienne. C’est le Rabelais de l’Angleterre, comme je vous l’ai déjà mandé ; mais c’est un Rabelais sans fatras, et ce livre serait amusant par lui-même, par les imaginations singulières dont il est plein, par la légèreté de son style, etc., quand il ne serait pas d’ailleurs la satire du genre humain.

J’ai à vous avertir que le second tome n’est pas à beaucoup près si agréable que le premier, qu’il roule sur des choses particulières à l’Angleterre et indifférentes à la France, et qu’ainsi

    léger que le costume de vos dames dans les jours les plus chauds. Tout cela est ici regardé comme une singularité, mais n’est taxé de folie par personne.

    Revenons à la Henriade. De ces trois volumes que renferme le paquet à votre adresse, je charge Thieriot d’en envoyer un à mon ancienne amie Mlle de Livry ; Mme de Bernières lira celui de Thieriot ; je compte cependant lui en adresser un pour sa bibliothèque de la Rivière. Mais je prie Thieriot de ne rien entreprendre pour l’impression de mon ouvrage sans m’en informer ; je regarderai cela comme une preuve de son amitié pour moi.

    Adieu, je vous aime sincèrement, sans compliment ni cérémonie.

  1. L’ancien calendrier ne fut abandonné des Anglais qu’en 1752.
  2. Ce roman satirique avait paru l’année précédente.