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ANNÉE 1734.

d′Alcibiade sont rampants et sans force : en second lieu il est choqué d’une imitation si marquée ; en troisième lieu, il ne peut souffrir que le citoyen d’un pays renommé par l’éloquence et par l′artifice donne à ces mêmes Grecs un caractère qu’ils n′avaient pas (acte III, scène iii) :

Vous allez attaquer des peuples indomptables,
Sur leurs propres foyers plus qu’ailleurs redoutables.

On voit partout la même langueur de style. Ces rimes d’épithètes, indomptables, redoutables, choquent l’oreille délicate du connaisseur, qui veut des choses et qui ne trouve que des sons. Sur leurs propres foyers plus qu’ailleurs est trop simple, même pour la prose.

Je n’ai trouvé aucun homme de lettres qui n’ait été de mon avis, et qui ne soit convenu avec moi que le style de cette pièce est, en général, très-languissant. J’ajouterai même que c’est la diction seule qui abaisse M. de Campistron au-dessous de M. Racine. J′ai toujours soutenu que les pièces de M. de Campistron étaient pour le moins aussi régulièrement conduites que toutes celles de l′illustre Racine ; mais il n’y a que la poésie du style qui fasse la perfection des ouvrages en vers. M. de Campistron l’a toujours trop négligée ; il n’a imité le coloris de M. Racine que d’un pinceau timide ; il manque à cet auteur, d’ailleurs judicieux et tendre, ces beautés de détail, ces expressions heureuses, qui sont l′âme de la poésie, et font le mérite des Homère, des Virgile, des Tasse, des Milton, des Pope, des Corneille, des Racine des Boileau.

Je n’ai donc avancé qu’une vérité, et même une vérité utile pour les belles-lettres ; et c’est parce qu’elle est vérité qu’elle m’attire des injures.

L’anonyme (quel qu’il soit) me dit, à la suite de plusieurs personnalités, que je suis un très-mauvais modèle ; mais au moins il ne le dit qu’après moi : je ne me vante que de connaître mon art et mon impuissance. Il dit ailleurs (ce qui n’est point une injure mais une critique permise) que ma tragédie de Brutus est très-défectueuse. Qui le sait mieux que moi ? C’est parce que j étais très-convaincu des défauts de cette pièce, que je la refusai constamment, un an entier, aux comédiens. Depuis même je l’ai fort retouchée ; j’ai retourné ce terrain où j’avais travaillé si longtemps avec tant de peine et si peu de fruit. Il n’y a aucun de mes faibles ouvrages que je ne corrige tous les jours, dans les intervalles de mes maladies. Non-seulement je vois mes fautes,