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ANNÉE 1732.

et Berenger. The old countess is just the same woman you left, and I the same friend[1].

  1. Traduction : Vous êtes mon ami, vous aimez la liberté, vous avez une âme pensante, donc l’Angleterre doit vous plaire. Je ne suis point surpris de l’affection que vous ressentez déjà pour M. de Chavigny : c’est un de ces hommes nés pour réussir partout, pour égayer le sombre Allemand, adoucir l’orgueilleux Anglais, causer avec le Français, et négocier avec le subtil Italien. Je sais qu’il était fort aimé du dernier roi George et de toute sa cour. Je ne cherche point à deviner si la commission dont il est chargé aujourd’hui lui est aussi favorable que celle qu’il eut autrefois ; mais, quel que soit le pied sur lequel il traite maintenant avec les Anglais, je suis certain que sa personne sera très-bien venue, même quand son message déplairait.

    Je ne doute pas que vous n’ayez vu tous ceux pour qui vous m’aviez demandé des lettres. J’espère que milord Bolingbroke, M. Pope, M. Gay, mylord Hervey, M. Pulteney, sont à présent de vos amis. Vous parlez sûrement leur langue avec eux, et la première lettre que je recevrai de vous sera, je le suppose, tout à fait anglaise. Vous me direz qui vous préférez de Ben Jonson, Congreve, Vanbrugh ou de Wycherley. Vous vous établirez juge entre Dryden, Pope, Addison, et Prior. À propos, si vous avez conservé quelque souvenir de la poésie française, je vous dirai que j’ai fait trois nouveaux actes qui seront joués sous très-peu de jours. J’espère aider, par là, Ériphyle à relever sa tête même au-dessus des sacrés lauriers de Jephté*. Mais j’ai à m’occuper d’un ouvrage plus galant. Hier M. Ballot vint me voir, et me mena chez M. Lancret, où je vis un fort joli portrait, représentant la plus charmante prêtresse de Diane qui ait jamais paru sur le théâtre ; le portrait de Mlle Sallé est, comme cela doit être, meilleur que celui de Camargo. Cependant je trouve qu’il manque encore quelque chose à la ressemblance, qui n’est pas parfaite. Les vers qui doivent être gravés au-dessous devraient aussi valoir mieux que ceux qui furent faits par M. de La Faye pour Camargo. Mais je ne veux point lutter contre l’aimable muse du jeune Bernard : c’est un des plus assidus courtisans de Mlle Sallé, et il faut bien qu’il chante la nymphe qu’il voit chaque jour. Quant à moi, je n’ai pas eu le bonheur de la trouver chez elle : j’y suis allé trois ou quatre fois, elle était toujours sortie. Je compte y retourner aujourd’hui, et m’entretenir de vous avec votre divinité.

    Parlons maintenant de quelques autres affaires. Je vous conjure d’abord de ne point montrer Jules César avant que je vous aie envoyé plusieurs changements que j’ai faits à cette pièce. Si vous le désirez, je vous enverrai par la plus sûre occasion la nouvelle Ériphyle, ainsi qu’un compliment rimé que doit réciter Dufresne à l’ouverture du Théâtre-Français. Voici encore une autre chose que j’ai fort à cœur. Les planches des gravures de la Henriade, tant grandes que petites, sont entre les mains du libraire Woodman, qui demeure dans la rue Russel, Covent-Garden. Si vous pouviez les acheter à un prix raisonnable, vous me rendriez un grand service. Je sais qu’elles ont besoin d’être retouchées par quelqu’un d’habile, et je m’en occuperais à Paris. Woodman ne pourrait rien faire de ces planches, et elles me seraient très-nécessaires pour compléter la grande édition de la Henriade, que je compte faire imprimer à Paris. Il ne faut pas lui laisser soupçonner que vous avez envie d’avoir ces gravures, ou que vous y attachez beaucoup de valeur : alors il vous sera facile de les lui acheter à très-bon marché. Je vous ferai passer l’argent par le banquier qu’il vous plaira de me désigner. Pardonnez-moi de n’avoir pas vu plus souvent Mlle Sallé. Ériphyle occupait tout mon temps et toutes mes pensées ; mais maintenant que je suis débarrassé du fatras tragique, je compte aller de temps en temps faire ma cour à la sincère et