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fille d’opéra[1] : jugez, d’après cela, si Linant, qui a dix-neuf ans[2] est homme à lui plaire.

Je suis, en vérité, Lien fâché de la haine que Mme de Fontaine a pour la jeunesse. Votre abbé aurait été son fait et le mien. Mais, quelque chose qui arrive, il réussira sûrement ; il est né sage, Il a de l’esprit, de la bonne volonté, de la jeunesse : avec tout cela on se tire bientôt d’affaire à Paris. Les vers qu’il a faits pour vous sont bien au-dessus de ceux qu’il avait faits pour Dieu et pour le chaos ; on réussit selon les sujets. Je suis fort trompé, ou ce jeune homme a le véritable talent ; et c’est ce qui augmente encore le regret que j’ai de ne pouvoir vivre avec lui. Qu’il compte sur moi, si jamais je puis lui rendre service. Dans deux ou trois ans il écrira mieux que moi, et je l’en aimerai davantage. Mon Dieu ! mon cher Cideville, que ce serait une vie délicieuse de se trouver logés ensemble trois ou quatre gens de lettres avec des talents et point de jalousie ! De s’aimer de vivre doucement, de cultiver son art, d’en parler, de s’éclairer mutuellement ! Je me figure que je vivrai un jour dans ce petit paradis ; mais je veux que vous en soyez le dieu. En attendant, je vais versifier ma tragédie, et, si je peins l’amour comme vous me faites sentir l’amitié, l’ouvrage sera bon. Je vous embrasse mille fois. V.


266. — Á M. DE MONCRIF[3]
1732.

Si je n’étais pas lutiné de mes tristes réveille-matin, qui sont coliques du diable, je viendrais, mon cher ami, vous présenter M. l’abbé de Linant, ami de M. de Formont et digne d’être le votre. C’est un jeune homme à qui la nature a donné tant de mérite qu’elle a cru qu’avec tout cela il pourrait se passer absolument de fortune. À quelque chose qu’il se destine, il faut qu’il commence par connaître un homme comme vous : ce sera un excellent connaisseur de plus, qui sera informé de tout ce que vous valez par le cœur et par l’esprit. Je crois lui rendre un vrai service en vous l’adressant, et je suis sûr que vous ne m’en saurez pas mauvais gré. Je vous embrasse tendrement : aimez toujours un peu votre ami.

  1. Allusion à Thieriot, alors amoureux de Mlle Sallé
  2. Si Linant naquit dès 1704, comme le fait entendre le Moreri de 1759 il avait environ vingt-huit ans en 1732 ; il n’en avait que vingt-quatre, si sa naissance ne remonte qu’à 1708, comme le dit la Biographie universelle (Cl.)
  3. Éditeurs, de Cayrol et François.