Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/311

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à soie file, que M. de Réaumur les dissèque, et que vous les chantiez. Vous serez poëte et homme de lettres, moins parce que vous le voulez que parce que la nature l’a voulu. Mais vous vous trompez beaucoup en imaginant que la tranquillité sera votre partage. La carrière des lettres, et surtout celle du génie, est plus épineuse que celle de la fortune. Si vous avez le malheur d’être médiocre (ce que je ne crois pas), voilà des remords pour la vie ; si vous réussissez, voilà des ennemis : vous marchez sur le bord d’un abîme, entre le mépris et la haine.

Mais quoi, me direz-vous, me haïr, me persécuter, parce que j’aurai fait un bon poème, une pièce de théâtre applaudie, ou écrit une histoire avec succès, ou cherché à m’éclairer et à instruire les autres !

Oui, mon ami, voilà de quoi vous rendre malheureux à jamais. Je suppose que vous ayez fait un bon ouvrage : imaginez-vous qu’il vous faudra quitter le repos de votre cabinet pour solliciter l’examinateur ; si votre manière de penser n’est pas la sienne, s’il n’est pas l’ami de vos amis, s’il est celui de votre rival, s’il est votre rival lui-même, il vous est plus difficile d’obtenir un privilège qu’à un homme qui n’a point la protection des femmes d’avoir un emploi dans les finances. Enfin, après un an de refus et de négociations, votre ouvrage s’imprime ; c’est alors qu’il faut ou assoupir les Cerbères de la littérature, ou les faire aboyer en votre faveur. Il y a toujours trois ou quatre gazettes littéraires en France, et autant en Hollande : ce sont des factions différentes. Les libraires de ces journaux ont intérêt qu’ils soient satiriques ; ceux qui y travaillent servent aisément l’avarice du libraire et la malignité du public. Vous cherchez à faire sonner ces trompettes de la Renommée ; vous courtisez les écrivains, les protecteurs, les abbés, les docteurs, les colporteurs : tous vos soins n’empêchent pas que quelque journaliste ne vous déchire. Vous lui répondez, il réplique : vous avez un procès par écrit devant le public, qui condamne les deux parties au ridicule.

    du tome Ier de Mon Petit Portefeuille, 1774, deux volumes in-24. Ce recueil contient quatorze vers (et c’est tout ce qui en reste) d’une tragédie de Lefebvre. Ces quatorze vers ont été reproduits dans le tome III des Pièces intéressantes, par place. On trouve dans les Poésies mêlées (tome X, page 500) une pièce adressée par Voltaire à Lefebvre, dont il est encore question dans la lettre à Mme Denis du 20 décembre 1753. C’est aussi comme adressé à Lefebvre qu’a été donné, en 1746, un Fragment d’une lettre sur la corruption du style, morceau qui, depuis les éditions de Kehl, fait partie du Dictionnaire philosophique : voyez tome XX, page 442.