Page:Voltaire - Œuvres complètes Garnier tome33.djvu/344

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même qu’elle fut imprimée, je commençai une pièce nouvelle.

L’ordre des choses demande, ce me semble, que je vous dise ce que c’est que cette pièce à laquelle je travaille à présent. C’est un sujet tout français, et tout de mon invention, où j’ai fourré le plus que j’ai pu d’amour, de jalousie, de fureur, de bienséance, de probité, et de grandeur d’âme. J’ai imaginé un sire de Coucy, qui est un très-digne homme, comme on n’en voit guère à la cour ; un très-loyal chevalier, comme qui dirait le chevalier d’Aidie, ou le chevalier de Froulai[1].

Il faudrait à présent vous rendre compte de Gustave Wasa ; mais je ne l’ai point vu encore. Je sais seulement que tous les gens d’esprit m’en ont dit beaucoup de mal, et que quelques sots prétendent que j’ai fait une grande cabale contre. M. de Maupertuis dit que ce n’est pas la représentation d’un événement en vingt-quatre heures, mais de vingt-quatre événements en une heure. Boindin dit que c’est l’histoire des révolutions de Suède, revue et augmentée. On convient que c’est une pièce follement conduite et sottement écrite. Cela n’a pas empêché qu’on ne l’ait mise au-dessus d′Athalie, à la première représentation ; mais on dit qu’à la seconde on l’a mise ta côté de Callisthène[2].

Venons maintenant à nos Lettres. Monsieur votre frère se pressa un peu de vous les envoyer ; mais, depuis, il vous a fait tenir les corrections nécessaires. Je me croirai, mon cher Thieriot, bien payé de toutes mes peines si cet ouvrage peut me donner l’estime des honnêtes gens, et à vous, leur argent. Rien n’est si doux que de pouvoir faire, en même temps, sa réputation et la fortune de son ami. Je vous prie de dire à milord Colingbroke, à milord Bathurst[3], etc., combien je suis flatté de leur approbation. Ménagez leur crédit pour l’intérêt de cet ouvrage et pour le vôtre. Le plaisir que les Lettres vous ont fait m’en donne à moi un bien grand. Que votre amitié ne vous alarme pas sur l’impression de cet ouvrage. En Angleterre, on parle de notre gouverne-

  1. Dans quelques lettres de 1730 et de 1737, Voltaire les appelle chevaliers sans peur et sans reproches, preux chevaliers. Le premier est connu par ses amours avec la Circassienne Aissé, morte en 1733 ; le second, chevalier de Malte comme lui, fut ambassadeur de France auprès de Fredéric II, de 1749 à 1753. (Cl.)
  2. Callisthène', joué pour la première fois le 18 février 1730, et Gustave Wasa, joué le 7 janvier 1733, sont deux tragédies de Piron, qui, après avoir adressé à Voltaire, en décembre 1723, une lettre en vers et en prose remplie de compliments, ne cessait de lancer contre l’auteur de la Henriade des épigrammes plus grossières que piquantes. (Cl.)
  3. Allen Bathurst, seigneur anglais, ami de Swift, de Pope et d’Addison ; mort en 1775.